VIOLENCES POLICIÈRES À SAINT-ÉTIENNE
Témoignage d’un militant
Militant syndicaliste CGT, communiste et gilet jaune, je viens ici témoigner des nombreuses humiliations et violences policières que mes camarades et moi avons vécues ce samedi 12 janvier à Saint-Étienne.
Aux alentours de 17h à l’avenue de la libération, alors qu’une partie de la manifestation se poursuit en direction de la place du peuple, deux rangées de plusieurs dizaines de CRS et de baquistes se positionnent devant et derrière nous au niveau du lycée Fauriel : environ une centaine de personnes (manifestants et non manifestants compris) sont cernées et piégées, une véritable nasse se constitue. Un déluge de grenades lacrymogènes s’abat immédiatement sur nous. En l’espace de quelques secondes un brouillard épais se forme et l’air devient irrespirable. Panique et hurlements, chacun tente de s’extirper des gaz en espérant ne pas se retrouver dans la trajectoire d’une balle de LBD ou de flash-ball dont le bruit caractéristique retentit ça et là . Plusieurs personnes, dont certaines mineures, crient et vomissent en gisant allongées sur le sol. De longues minutes plus tard, une fois les gaz dissipés, surgissent de nombreux CRS interpellant de façon arbitraire une vingtaine d’individus dont j’ai la malchance de faire partie.
Mon tort est de posséder sur moi une paire de gants et une écharpe, ainsi que d’être présent à cet endroit et à ce moment précis. S’ensuivent une vingtaine de minutes où des camarades et moi sont menottés et accroupis au sol à la vue de tous en attendant notre transfert au commissariat de police de Fauriel. La garde à vue commence aux alentours de 17h30. Après une fouille détaillée et un contrôle poussé, je suis incarcéré dans une cellule de dégrisement sordide et puante d’une dizaine de mètres carrés en compagnie de 2 manifestants et de 2 autres personnes. Mon audition a lieu vers 1h30 du matin en présence de mon avocat, la faim se fait ressentir et c’est finalement à 2h00 du matin qu’un repas infect me parvient. Toutes les cellules sont pleines à craquer : la majorité des détenus sont des manifestants. Difficile de trouver le sommeil sans matelas ni couvertures, je peux enfin sortir le lendemain après midi aux alentours de 14h avec un simple rappel à la loi. Un comité de soutien d’une vingtaine de camarades est présent.
Je n’ai pas de séquelles visibles et irréversibles contrairement à d’autres ce jour-là : au moins deux blessés graves par tir de flash-ball ou LBD à hauteur du visage. Je dénonce ces violences policières insupportables et le déni médiatique honteux de nombreux journaux sur ce sujet. La Tribune-le Progrès a osé titrer le jour même « deux blessés légers », c’est une provocation scandaleuse. Je dénonce aussi les interpellations arbitraires et les gardes à vue abusives ainsi que les méthodes judiciaires humiliantes consistant à ficher et intimider les manifestants.
La répression est le seul horizon que nous promet ce gouvernement au service des ultra riches. En ces temps d’accélération des réformes anti sociales et d’aigre odeur dictatoriale je souhaite que la convergence des luttes ne reste pas un vain slogan. La colère gronde depuis bientôt 2 mois partout en France. À Saint-Étienne, les débats des gilets jaunes autour de l’enjeu des luttes des classes se dessinent bien plus clairement depuis quelques temps, nos perceptions communes se font jour et s’affinent, les solidarités naissent et se renforcent au fil des semaines. Dans ce climat prérévolutionnaire, soyons présent massivement pour l’acte X tout en organisant au plus vite les conditions nécessaire d’une grève générale historique.
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Témoignage suite à une arrestation faite le 12 janvier 2019 à 14h10, sur Avenue de la Libération :
Alors que je me rendais à la manifestation des GJ, je suis confrontée à un barrage filtrant. Trop tard pour faire demi-tour, je suis déjà dans la ligne de mire de l’un d’elleux. Une policière procède à une fouille au corps.
Apparemment, les lunettes de piscine et mon masque de chantier qui se trouvent dans ma poche sont un motif d’arrestation.
« C’est pour me protéger des gaz lacrymo.
Oui mais avec ça vous allez durer plus longtemps. »
Même plus le droit de manifester. Hop, au poste !
Nous sommes plus d’une dizaine à nous retrouver au poste pour ces mêmes raisons.
Première petite audience d’avant-goût. J’apprends que je suis accusée d’avoir participé à un groupement en vue de commettre des violences sur personne et des dégradations/destructions de biens. Avec des lunettes ?! L’officier me demande si je veux voir un médecin. Et me propose d’avoir un-e avocat-e commis-e d’office, mais en me précisant qu’iels sont très occupé-e-s, et donc que ça allait prendre du temps et que j’allais sortir moins rapidement. Son collègue confirme. (Si j’avais su !) Il me propose ensuite de prendre le numéro d’un-e proche. Seul lui peut l’appeler, pas moi. Je refuse de signer la feuille d’audience, ça n’a pas l’air de leur plaire.
Seconde fouille. Placement en cellule.
Je découvre une pièce sombre qui embaume l’urine. Aux murs, du sang et de la merde. J’attends ici seule pendant quatre heures dans le noir. Certains s’impatientent déjà dans leur cellule. On a rien foutre ici putain. Et on nous menace de 750 euros d’amende si on s’énerve contre nos portes. Un policier s’excuse, vous comprenez, ce n’est pas de sa faute à lui, mais celle de ses collègues, c’est eux qui nous ont arrêtés.
« Vous verrez les casseurs vont arriver après ! »
Ce policier parlait sûrement des deux filles qui m’ont rejointe à 18h. Des étudiantes qui faisaient un reportage vidéo pour leur sujet de mémoire, qui se sont fait violemment interpellées alors qu’elles levaient les mains vers le ciel en signe d’innocence. D’ailleurs, elles n’ont même pas le même motif d’inculpation : l’une pour participation sans arme à un attroupement après sommation de se disperser en dissimulant volontairement son visage afin de ne pas être identifiée ; et l’autre pour rébellion. Pourtant elles avaient le même équipement, et se sont fait arrêtées ensemble au même moment...
Les cellules se remplissent de plus en plus, certains partagent une cellule à sept. La police est débordée et s’emmêle les pinceaux ! On parvient quand même à me faire passer mon audience.
Mais avant de commencer, j’entends des camarades dehors qui hurlent : « Libérez les gilets jaunes ! ». Un policier s’empresse de fermer la fenêtre. J’entends un de ses collègues se plaindre à d’autres d’avoir vu plusieurs pancartes anti-flics en tête de cortège pendant la manif. Il dit que ça ne lui fait pas plaisir, mais hors de question de se remettre en question.
Les bureaux sont très étroits, je dois décaler ma chaise à chaque fois que quelqu’un passe, il y a du bruit sans cesse. Difficile de se concentrer. La policière finit par me poser ce genre de questions : « Nom des parents ? Adresse ? Célibataire ? Enfants à charge ? Diplôme ? Profession ? Bourses ? Combien ? Allocations ? Combien ? Prix du loyer ? Nombre de kilomètres entre mon domicile et mon école ? ». Elle met la pression quand je ne veux pas lui répondre : « Vous êtes sûre que vous ne savez pas ? Approximativement ? Vous devez bien savoir ? ».
Elle enchaîne par les questions au sujet du déroulement des événements, sans me prévenir que j’ai le droit au silence : « Où avez-vous été arrêtée ? A quelle heure avez-vous quitté votre domicile ? Étiez-vous seule ? Vous confirmez que le matériel confisqué ici est le vôtre ? Il était dans un sac ? Pourquoi aviez-vous ce matériel ? Aviez-vous l’intention de commettre des violences ? ».
Encore une fois je ne signe pas le récapitulatif de l’audience. Selon elle, je sortirai demain.
S’ensuit plus tard, la prise d’empreintes. Le policier est brut, il n’a pas le temps. « Avez-vous des tatouages ? Des cicatrices suite à des opérations ou autre ? ». Photos sous tous les profils. Fiché-e-s jusqu’à la salive !
Retour en cellule.
Il commence à faire vraiment froid, et il n’y a pas assez de couvertures pour tout le monde. Depuis 21h on nous promet un repas qui n’arrivera qu’à 2h du matin. Dans ma cellule, il n’y a qu’un matelas pour quatre, nous en réclamons un second dont nous ne verrons jamais la couleur. Seule une couverture pliée en deux me sépare du sol, je somnole à côté de ces toilettes turques dont on ne s’habituera pas à l’odeur. A cela s’ajoute tous les bruits incessants qui résonnent à l’intérieur du comico... Quand est-ce que nous allons sortir ?
Notre liberté tient dans les mains du procureur. Entre 3h et 6h du matin, tous les policiers-ères nous disent qu’iels l’appelleront pour 8h. A 9h, nous demandons s’iels ont des nouvelles du procureur. Iels ne l’ont toujours pas appelé. On se fout de nous. On s’énerve. Iels s’énervent. On est tou-te-s tendu-e-s. Puis plus un bruit, pas de policiers-ères depuis un long moment, on a l’impression d’être seul-e-s entre ces murs. Soudain, on entend finalement les policiers-ères venir chercher un-e à un-e les détenu-e-s pour les libérer.
C’est bientôt à nous !
12h, je sors du commissariat.
22h de garde à vue. Et un rappel à la loi.
Pour des lunettes de piscine. Alors que la manifestation n’avait même pas commencé.
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