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COLOMBIE  
Publié le 24 janvier 2015 | Maj le 13 décembre 2020

[Colombie] Un compagnon assassiné par les paramilitaires - Quand paix rime avec violence


Il y a quelques jours seulement, l’analyse de l’avalanche de menaces paramilitaires sur les leaders sociaux et les médias alternatifs jouait la carte de la force... comme quoi les paramilitaires ne pourraient pas tuer tout le monde démontrant alors une stratégie de la terreur plus qu’un paramilitarisme actif...
Mais ils ont tué Carlos...

Le 19 janvier, à Bogotá, Carlos est sorti de chez lui pour aller à une réunion en ville. Il n’y est jamais arrivé. Le 21 janvier, il a été retrouvé à 60 km de Bogotá, le crâne défoncé.
Carlos, 29 ans, faisait partie des personnes très actives, membre du MOVICE (Mouvement des Victimes des Crimes d’Etat), et de la Coordination Régionale du Mouvement politique des Masses Sociales et Populaires du Centre Oriental de Colombie et membre du Congreso de los pueblos (1).
Ces mouvements sociaux et politiques auxquels appartenait Carlos faisaient partie de la longue liste des organisations sociales et politiques menacées par les Aguilas Negras (aigles noirs) dans un contexte de discussion de “paix”.

EN COLOMBIE, LA PAIX APPELLE LE MEURTRE

Suite à un accord de paix survenu avec le gouvernement Bétancur en 1984, les guérillas ont eu le droit de monter un parti politique : l’”Union Patriotique” regroupant diverses tendances. De nombreux guérilleros sont alors sortis de la jungle pour enfin profiter d’une liberté politique longuement espérée... Mais devant le raz-de-marée électoral, la réaction des Libéraux-Conservateurs ne s’est pas fait attendre : des milliers de mort, de disparus... des fosses communes dans tout le pays... On parle alors de génocide politique et de survivants de l’”UP” et d’“¡A Luchar !”. Même des communautés ayant massivement voté pour eux se sont fait massacrer.

De la même manière, lorsque les guérillas du M-19 et du Quintim Lamé ont déposé les armes en échange d’une super-constitution en 1991, les conséquences ont dépassé malheureusement les expectatives. Suite à la constitution, les indiens en pleine euphorie avaient pour la plupart arrêté la lutte pendant plusieurs années.
Autre conséquence, alors que des communautés entières allaient auparavant en prison pour avoir osé lutter pour récupérer des terres arrachées violemment, la constitution de 91 ayant légalisé cette lutte.... les communautés se sont alors fait décimées, massacrées...

Autre accord, autres massacres...

Au moment où les Farc sont au plus fort de leur capacité de prendre le pouvoir, en 1998, le président Pastrana a gagné du temps en lançant “un processus de paix” en démilitarisant toute une zone de la Colombie : le Caguán (zone plus grande que la Suisse) ... En sous-main, Pastrana a négocié au même moment avec les Etats-Unis le plan Colombie représentant des milliards de dollars pour lutter contre l’extrême gauche sous prétexte de lutte anti-drogue (pour ne pas choquer la communauté internationale).
Dès que la zone est revenue sous controle de l’Etat, la vengeance perpétrée par les paramilitaires et les militaires a été féroce contre les communautés jugées favorables aux guérillas.
Des centaines et des centaines de mort sur les places publiques des villages, découpés à la machette, tronçonnés vivants, des têtes d’enfants transformées en ballons de foot. L’horreur.

C’est là que l’on peut se poser plusieurs questions :

Est-ce que les conditions de sécurité sont réunies pour un dialogue de paix ? C’est-à-dire quelles seraient les garanties après un dépot d’armes des guérillas pour que les membres ne deviennent pas des "objectifs militaires à abattre" des militaires ou paramilitaires ? En effet, bon nombre de guérilleros entrent en clandestinité pour avoir manifester à 13 ans pour une meilleure éducation... et redoutent de rentrer dans la vie civile non sans raison.

Mais au-delà des guérilleros qu’en est-il de la situation des civils ? Des personnes qui luttent pour une "paix avec justice sociale" ? pour que des changements sociaux s’opèrent radicalement face à la venue massive des multinationales et compagnies minières et pétrolières...

Ce qui est clair c’est que les paramilitaires sont bien présents et toujours très actifs.
Des liens ont été officiellement établis entre eux et les multinationales (la BP, Drummond, ou encore la bananière Chiquita qui a aussi un role dans le coup d’Etat du Honduras...) , ces dernières payant les paramilitaires pour récupérer des terres que les paysans ne veulent pas vendre, pour liquider ou faire disparaitre les opposants aux projets miniers, pour assassiner les syndicalistes et les leaders sociaux, les membres des comités des droits humains.

Ce qui est clair, c’est que le paramilitarisme comme bras armé du capitalisme, associé aux bataillons militaires spécialisés dans la sécurité des multinationales, ne va pas en déclinant avec “la paix” voulue par le président Santos (et peut-être le prix Nobel qui va aller avec...).

Au-delà de ces menaces sur des membres d’organisations, des milliers de personnes anonymes sont tenues sous le joug des paramilitaires.
Les paramilitaires tiennent en joug la population de Buenaventura qui se fait découper à la machette dans les Casas de Pica qui ont fait scandale ces derniers-mois pour le non paiement de quelques milliers de pesos (quelques euros).

En août durant une caravane dans le Narino nous avons rencontré un homme dont la mère de 62 ans s’est fait tronçonner dans sa ferme, les os des poignets brisés... Seul, cet homme a dénoncé et suite à sa dénonciation, a reçu des menaces d’hommes cagoulés chez lui. Mais cet homme n’a pas laché et a redénoncé pour réclamer cette fois une protection de l’Etat, qui hypocrite lui a laissé un téléphone portable.... sur lequel il a reçu des menaces de mort le visant lui et toute sa famille.

Hypocrite le gouvernement lâche des téléphones portables, bien pratiques pour surveiller les leaders sociaux menacés.
Hypocrite le gouvernement joue les JE SUIS CHARLIE lors de la parade organisée par l’ambassade de France, jouant les démocrates.
(Mais en même temps, c’est ça la démocratie représentative...)

1 – Le Congrès des Peuples : C’est justement pour en finir avec ce vieux monde que les organisations de base travaillent au sein du Congreso de los Pueblos avec une volonté de laisser de l’espace à chacun, sans hiérarchie centralisatrice mais en assemblées et sur consensus.
Durant la Minga (grosse mobilisation) de 2009, les indiens Nasa ont voulu par une marche monstre rencontrer les organisations sociales du pays. Echanger avec elles, et se rassembler pour chasser le gouvernement et les multinationales.

Pour le Congrès des peuples, la paix n’est pas seulement le silence des armes, mais la garantie d’une vie digne pour toutes et tous qui comprend l’émancipation de toutes formes d’oppression et de domination capitalistes, patriarcales, coloniales et impérialistes. En ce sens, les conclusions et mandats émanant du Congrès national de la paix (2013) visent à resserrer, renforcer et consolider ce que nous appelons la solidarité des peuples, la diplomatie populaire et l’incidence publique avec selon la perspective suivante : la paix n’appartient pas aux gouvernements mais aux peuples, c’est pourquoi elle n’a pas de nationalité, et n’est donc pas un enjeu exclusif à la Colombie. Ceci nous oblige à bâtir la paix en partenariat avec d’autres processus qui vivent dans des lieux militarisés, envahis et affectés par les logiques de la guerre. Ainsi, la paix en Colombie et dans le continent est l’affaire de tous les processus sociaux et populaires.

Si des différences d’ordres idéologique et pratique existent entre certaines tendances politiques, le bocage de fin 2013 a permis un regroupement au sein de la Cumbre (Sommet) Paysanne Agraire Ethnique et Populaire de tous les mouvements sociaux du pays. La Cumbre a pour but de se rassembler autour de luttes sociales contre l’arrivée massive des multinationales et les inégalités sociales ayant mené au conflit armé.
C’est contre ce regroupement de forces et ce travail de fonds que luttent les paramilitaires ou les « Bandes criminelles » que ça soit à la campagne ou en milieu urbain, montrant clairement ce qui les dérange.
Les mouvements sociaux colombiens auront encore bien des luttes à mener pour obtenir une paix marquée par la justice sociale... 

P.-S.

A défaut de rassemblements devant les ambassades colombiennes, pour envoyer un mail cinglant aux autorités colombiennes, il suffit de cliquer ici.


Proposé par din
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