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SAINT-ÉTIENNE  
Publié le 11 décembre 2018 | Maj le 25 avril 2020 | 1 complément

L’expo moisie du MAMC : 24h de la vie d’une bonniche décorative


Dimanche, on (binôme mec et meuf cis [1] blancs) a eu envie de visiter le Musée d’Art Moderne et Contemporain de Sainté. Une des expos, « 24 heures de la vie d’une femme » , avait attiré notre attention, on était un peu effrayé.e.s par la manière dont elle était présentée. Et on avait raison d’avoir peur.
Vous me direz qu’on avait qu’à pas aller se balader dans un lieu de culture hautement conventionnel/institutionnel, mais quand même !!!
L’expo est censée mettre en valeur les collections du MAMC. Elle est construite sur le déroulement linéaire d’une « journée type », de l’éveil jusqu’aux rêves de la nuit. Elle présente en tout 10 étapes. Et un ramassis de clichés sexistes.

Des femmes à poil

Ah, l’éveil de la "fâme", qui s’étire nue et alanguie sous l’œil du peintre... Grand tableau de femme nue qui pose, sculpture de nu de Rodin (dans une position dans laquelle NON on ne se réveille pas)... Bon voilà, rien d’original, des femmes nues peintes par des hommes. La partie « le bain » de l’expo est bien entendu un autre super prétexte pour montrer des meufs à poil. Mais voilà c’est normal, les hommes aiment les femmes, alors ils les peignent. Ce truc de présenter des œuvres quasi uniquement réalisées par des hommes, alors que l’expo est censée parler du quotidien des femmes est d’ailleurs totalement assumé dans le livret de présentation :

C’est paradoxalement à travers une majorité de regards masculins des artistes de la collection, que s’opère la sélection des œuvres, précisément des œuvres d’hommes regardant des femmes.

Cette justification semble un peu faiblarde. Il y a simplement une majorité d’artistes masculins bénéficiant d’une reconnaissance institutionnelle. Et votre collection nulle reflète ça. Point.
Et puis le « paradoxe », on le comprend, mais il ressemble plus à de la flemme et à une vieille habitude qu’à un parti pris. Parce que c’est vrai, c’est original de présenter des femmes à travers le regard d’hommes, dans l’art. Non vraiment, ça manquait, merci beaucoup.

Les pantoufles de Christian Boltanski

Que viennent-elles faire là ? Ah oui, pardon, elles « tentent d’arrêter le temps de l’enfance »... Que viennent faire les charentaises en pâte à modeler de Christian dans une expo sur les femmes ? On se demande si ce n’est pas parce que ces pantoufles d’homme semblent indispensables au quotidien d’une femme. Comme la présence d’un homme peut l’être. Parce que vraiment, il y a des types partout dans cette expo. Dans la partie « dehors le monde », quasiment que des gars représentés, affiches de luttes armées, de mai 68, images de presse ou militantes... Des trucs pseudo politiques traités par l’art contemporain, ne figurant que des hommes. C’est vrai que les meufs, y’en a pas dans les luttes politiques... Vraiment on y comprend rien à cette expo sur la journée d’une femme, sans femmes.
Le pire, c’est peut être la partie « la rencontre ». Que des têtes de types aux murs. Qui nous matent. Pas de gouine au musée, surtout pas. La rencontre est hétérosexuelle, et puis indispensable à la journée d’une femme, c’est évident. Comme l’hétérosexualité, la binarité de genre stricte est la seule possibilité. Elle est qui plus est très marquée, avec des figures du masculin et du féminin archétypales, qui collent parfaitement aux normes de leurs genres respectifs autant dans l’apparence que dans les attitudes (les hommes sont virils et fiers, leurs épaules sont carrées, les rares femmes représentées sont passives, en attente).

Secrétariat et épluchage de poireaux

"Le déjeuner" et "le travail" sont ceux de femmes des années cinquante (l’idée reçue qu’on peut en avoir), toujours sans parti pris, ni critique, ni... rien. Enfin si : « Cette section s’ouvre sur l’entre-deux guerres, caractéristique d’un retour à la tradition. » Ah ben quand même. Mais le bref éclat de lucidité s’arrête là. « Dans une facture réaliste, le repas allégorique de Roland Marie Gérardin idéalise la Nature, en tant que mère féconde et nourricière, à rebours de l’expansion progressiste de la société industrielle. Fernand Léger exalte au contraire dans ses natures mortes la beauté industrielle, alors qu’André Fougeron, soucieux d’un art accessible à tous, peint dans la veine du réalisme socialiste, telle cette femme du peuple, les mains rougies par le travail en cuisine, ajoutant à la fatigue de l’ouvrière ». Essentialisation du lien entre nature « nourricière » et féminité, condescendance faussement respectueuse envers les classes populaires, tout y est. Encore plus dans le livret que dans l’expo d’ailleurs, et sur un ton d’intello contemporeux qui croit avoir inventé l’eau tiède. On trouve à côté de ça des trucs de Ben et de Spoerri, que manifestement le musée avait super envie de montrer.

Pour « le travail » y’a des photos de caissières, de bureaux vides dans lesquels on imagine des secrétaires, un mur d’horloges accolées d’un marteau... Pfff, soit c’est cliché, soit ça a rien à voir avec les meufs...

« La martiniquaise »

On se souvient d’un seul tableau représentant une femme noire. Il s’intitule La martiniquaise, et représente une femme allongée, en tenue traditionnelle (?). Il est présenté dans la partie « le repos » de l’exposition. La seule femme noire représentée l’est donc dans un tableau empreint de colonialisme, et elle n’a d’autre attribut que le fait d’être une femme noire lascive qui se repose. Très original. Autre relent colonialiste, un masque d’« art premier » (on peut dire aussi « exogène », ce qui signifie juste que ça vient d’ailleurs et évacue peut être mieux les trucs hiérarchiques). Il est dans la partie « les rêves, la nuit » bien sûr. Ce bon vieux cliché de l’inconscient « primal » illustré sans aucune réflexion ni explication par un objet soi-disant « primitif » parce que non-occidental...

Promenade molle

Il y a aussi une partie « promenade » dans cette exposition. Ne vous inquiétez pas, on se promène dans des endroits bucoliques, aménagés et tranquilles, en journée... Là aussi, des clichés sur le rapport à l’espace extérieur quand on est une meuf. Ça fait pas vraiment rêver, ces photos mornes. Et puis y’a que du paysage vide, aucune meuf représentée en train de marcher, d’être active... Enfin, pas qu’on se souvienne.
Y’a aussi « la fête » dans l’expo, et là non plus pas de meuf en train de bouger, de danser... Les corps féminins ne sont décidément représentés que passifs (ou en train de cuisiner !). Même la caissière de la photo du « travail » est en train de poser. Quand il s’agit de faire des tableaux de meufs qui glandent à poil, y’a du monde, mais pour les représenter en train de faire des trucs, y’a plus personne !

En bref

On ne comprend pas bien le point de vue de l’expo. Si elle présentait une critique des œuvres, du fait que les femmes sont la plupart du temps objets et non sujets des œuvres, que les femmes artistes sont moins reconnues, sous représentées... Mais bon, elle ne le fait pas.
On pourrait se dire que cela présente juste un constat, que la société est encore et toujours sexiste et que l’expo a seulement une valeur illustrative. Mais même en la voyant comme ça, c’est surprenant de montrer toute cette merde avec une satisfaction béate et sans parti pris ! On a l’habitude de voir des œuvres sexistes dans les musées, elles sont le reflet de leurs époques, de certaines normes sociales... Mais en utiliser une flopée spécifiquement dans une expo censée parler de la vie des femmes, et sans point de vue critique, c’est pour le moins étrange. Aucune réflexion, aucune remise en question de ce soi-disant quotidien féminin (de « la »femme, donc blanche, hétérosexuelle,occidentale, insérée socialement) nulle part, et encore moins dans le livret de l’expo qui prétend « montrer les œuvres autrement, dans un élan plus proche du quotidien de chacun, en reconnectant l’art au présent... ». Il a une drôle de gueule leur présent.

Notes

[1« cisgenre » désigne les personnes dont le sexe assigné à la naissance, par — en France — l’officier d’état-civil, correspond au genre auquel elles s’identifient.

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  • La définition qui a été rajoutée pour « cisgenre » n’est pas correcte, et doit être coupée après « s’identifient ». Il n’est pas question de « biologie » ou de « corporel » concernant l’identification de genre.

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