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ACTUALITÉS RÉPRESSION - PRISON
Publié le 16 octobre 2015 | Maj le 19 janvier 2020

Compte-rendu du procès de Nabil au tribunal de Chateauroux : « La veille de mon retour, je décide de ne pas retourner à la prison. »


Incarcéré depuis 2008, Nabil était un correspondant régulier de l’émission radio Papillon et du journal L’envolée. En novembre 2013, après des mois de galère face à une administration pénitentiaire qui semblait vouloir lui faire payer le fait qu’il dénonçait ce qui se passait en détention, il ne rentre pas d’une permission de sortie qui lui a été (enfin !) accordée. Arrêté 19 mois plus tard, il s’explique lors de son procès pour « évasion ».

- "Le juge : Monsieur, vous êtes accusé de ne pas avoir réintégré le centre pénitentiaire de Châteauroux suite à une permission de sortie qui vous avait été accordée en novembre 2013. En mars 2014, vous avez été condamné, en votre absence, à un an de prison ferme pour évasion. Vous avez été arrêté en Espagne en juin 2015 puis extradé vers la France. Vous comparaissez devant nous aujourd’hui car vous avez fait opposition de ce jugement. Qu’avez-vous à nous dire ?

- Nabil : J’ai été incarcéré en 2008 à la maison d’arrêt de la Talaudière (Saint-Étienne) et condamné en 2011. Puis j’ai été transféré au centre de détention de Roanne car j’avais déposé une plainte contre la Talaudière au sujet des conditions de détention. Toutes les démarches que j’avais entamées pour obtenir des permissions de sortie et une libération conditionnelle étaient à recommencer après ce transfert. Tout était très long car on était obligé de voir un expert psychiatre pour demander une conditionnelle, alors qu’à Roanne il était impossible d’en voir un dans un délai correct. J’ai attendu à peu près un an pour en voir un. Puis j’ai obtenu ma première permission de sortie, pendant six heures, pour rencontrer un employeur à Saint-Étienne, ça s’est très bien passé. Pourtant mes demandes de permissions suivantes ont toutes été refusées. On m’avait subitement délivré une interdiction d’aller dans ma ville, à Saint-Étienne. J’ai tout recommencé, j’ai cherché un logement et un employeur dans un autre département.
J’ai eu des problèmes en détention avec l’administration pénitentiaire : j’ai passé beaucoup de temps au QD (quartier disciplinaire), et à l’isolement. Je ne sais toujours pas ce qui motivait sérieusement ce placement à l’isolement. Puis j’ai été transféré à Neuvic en Dordogne, pour des raisons sécuritaires, où j’ai passé trois mois à l’isolement pour des soucis avec l’administration pénitentiaire, à la base pour des détails : un oeilleton bouché – de nombreux détenus bouchent l’oeilleton de leur porte.

- Puis vous avez été transféré à Châteauroux. Mais à Châteauroux, ça se passe bien, non ?

- Non. Mes courriers étaient bloqués, censurées, des vêtements bloqués à la fouille sans justification

(Le juge regarde le dossier sous ses yeux :) - Mais il n’y a pas eu d’incidents, puisque vous n’avez pas eu de sanction.

- … Laissez-moi finir. Selon vous ça se passe bien, mais pour moi ça se passe très mal. Les surveillants font tout pour me pousser à bout. Parce que je dérange, je dévoile des méfaits qu’ils peuvent commettre...

(Le juge le coupe :)
- En tous cas il n’y pas trace d’incident à Châteauroux dans votre dossier. Donc on vous accorde une permission de sortir. A un an de votre fin de peine ! C’est une marque de confiance de la part du JAP. Pourquoi trahir cette confiance ?

- J’ai eu peur que ce qui s’était produit avant ne se reproduise. Les mêmes mécanismes qu’ailleurs commençaient à se mettre en place avec les surveillants. Pendant la permission, j’ai réalisé que je ne le sentais pas, de revenir, qu’on ne m’accorderait pas de conditionnelle.

- Mais on vous accordait une permission !

- Auparavant on m’en avait déjà accordé une, puis plus rien, j’en ai demandé plein, des permissions ! Au moins huit en tout. La veille de mon retour, je décide de ne pas retourner à la prison.

- Vous avez fait quoi pendant ces 19 mois ?

- Pas grand chose

- Vous avez vécu de quoi ?

- De rien.

- Quel regard avez vous sur ce que vous avez fait ?

- Je ne pouvais voir ni mes proches ni ma famille. Déjà avant, à cause des transferts et de l’éloignement, je n’avais pas vu ma mère depuis longtemps. Je n’ai rien gagné, c’était comme une prison.

- Vous avez pensé aux autres détenus ? Qu’à cause de ce que vous avez fait, les JAP se méfient et ne leur accordent pas de permission ?

- Je ne peux pas penser à la place du juge, mais ce serait dommage de penser comme ça.

- Vous avez des projets ?

- Finir ma peine.

- A l’heure actuelle, votre fin de peine est fixée au 30 avril 2017. En espagne, c’était comment les conditions de détention ?

- C’était difficile car je ne parle pas leur langue et ne connaissais pas mes droits.

- Mais vous étiez mieux ou moins bien traité qu’en France ?

- C’était la même chose, c’est la prison.

- Venons-en à votre personnalité : (Le juge lit son casier judiciaire, puis demande :) Quelle est votre situation familiale ?

- J’en ai pas, j’en suis privé.« N’ayant aucun autre argument, Madame le procureur s’étend sur le casier judiciaire de l’accusé qui selon elle »nous en apprend beaucoup sur sa personnalité«  : il a été condamné pour »violence« donc – même si c’était il y a 7 ans - c’est et ce sera toujours une personne dangereuse, donc il faut le punir lourdement aujourd’hui. Mais, surtout : il a été condamné une fois pour outrage à agent et une fois pour »dégradation de bien de nécessité publique« , ce qui prouve, explique-t-elle la voix emplie de trémollos, qu’il a un »véritable problème avec l’autorité et la justice« . »Une JAP lui accorde sa confiance et il la trahit car il est frustré que d’autres JAP lui en aient refusé ? Mais quand on lui en accorde, il s’évade ! Il est frustré parce que ça se passe pas comme il veut en détention ? Il ne s’est même pas présenté de lui-même ! Si on ne l’avait pas arrêté, peut-être qu’on ne l’aurait jamais retrouvé ! Il a passé dix-neuf mois à l’air libre, il vaquait à ses occupations, voilà pourquoi je vous demande de le condamner à dix-huit mois de prison ferme.« L’avocate de la défense répond qu’il n’est pas »frustré« mais »usé« par la détention, par »la violence du système carcéral". Elle affirme que ça ne sert à rien de rajouter encore de la peine à sa peine, alors qu’il n’aura de toutes façons pas droit aux permissions et aménagements de peine.

Pour clore, Nabil ajoute : « Le procureur a dit que je ne respectais pas les règlements. Je n’ai pas été mis à l’isolement pour avoir enfreint le règlement, mais pour une »mesure de sécurité« qui n’a jamais été justifiée. Je voudrais ajouter des précisions sur mes conditions de détention : des surveillants ont tenté de me priver de parloirs. A l’isolement à Neuvic, j’ai été l’objet de mesures particulières dans l’accès au téléphone, à la nourriture, au sport, à la promenade. Ils avaient la volonté de me briser, tout ça juste parce que j’avais bouché un oeilleton, ce que les détenus font régulièrement et sans conséquences. C’étaient des conditions très difficiles. »

Le tribunal semble vouloir faire payer à Nabil sa manière d’assumer son acte : il alourdit sa peine en le condamnant a quinze mois fermes pour évasion.


Proposé par papillon
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