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ACTUALITÉS RÉPRESSION - PRISON
SAINT-ÉTIENNE   RÉVOLTES POUR NAHEL (2023)
Publié le 12 juillet 2023 | Maj le 10 septembre 2023

Le capitalisme carcéral à l’oeuvre : quand l’État, la police, la justice et les prisons ne font plus qu’un


Récit d’une comparution immédiate

Plusieurs récits ont déjà été publiés par Le Gueuloir sur les réseaux sociaux concernant les comparutions immédiates de la semaine dernière au tribunal de grande instance de Saint-Étienne [1].

En effet, de nombreuses comparutions exceptionnelles et expéditives se sont déroulées cette semaine suite aux révoltes liées au meurtre de Nahel par la Police.

Depuis plusieurs années, la justice favorise les procédures accélérées (comparutions immédiates, compositions pénales, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité...) afin de « désengorger » les tribunaux. Ces procédures rapides empêchent les inculpé.es de préparer convenablement leur défense et donnent la possibilité aux magistrats de donner des peines lourdes de prisons ou des amendes exorbitantes touchant aux portefeuilles des plus démuni.es. Nous vous rappelons que vous êtes dans votre droit en demandant un délai pour préparer votre défense en comparutions immédiates.

Lundi 3 Juillet, Tribunal de Saint-Étienne, cour correctionnelle, salle G, 13h30

Le procès a lieu après que M. Perdriau a fait sonner l’alarme de la ville, lors d’un rassemblement en soutien aux commerçant.es et contre les pillages et les révoltes du week-end. En effet, mardi 27 juin, Nahel, 17 ans, a été tué par la Police Nationale. Ce rassemblement de droite est protégé par la police pendant que certain.es opposant.es sont insulté.es et humilié.es.

Le même escadron de Police ainsi que 3 policiers de la BAC se rendent au tribunal où un groupe de personnes s’est déplacé pour soutenir leur ami alors en détention provisoire jugé dans l’après-midi. Ce même jour, les greffier.ères sont en grève devant le tribunal pour défendre leurs conditions de travail.

La Police demande aux personnes de descendre les imposantes marches du tribunal et ferment les grilles qui permettent d’y accéder afin de filtrer les entrées dans les salles d’audience à la demande du procureur.

Même la famille et les proches de la personne en détention ne sont pas autorisées à entrer. Au bout d’un moment le commandant de police décide sous « décision de la procureure » de bien vouloir faire entrer 10 personnes dans la salle d’audience en nous demandant à nous de nous départager. La tension est palpable, comme si ce n’était pas déjà suffisamment angoissant de venir assister au procès d’un proche.

Lorsqu’ils décident enfin de nous faire entrer, nous sommes escortés par 3 policiers de la BAC et le commandant de Police. Pendant ce temps tous les autres sont restés aux grilles du tribunal pour contrôler les entrées. Les personnes qui n’ont pas pu entrer attendent leurs ami.es dehors.

A chaque fois que nous discutons entre nous, ils se retournent pour nous observer, nous filment avec leurs caméras portatives.

Quand on entre, les 2 inculpés ont déjà été appelés à la barre, T. est dans le box, C. à la barre.

La juge a déjà plus ou moins annoncé les faits, nous prenons le procès en cours.

La juge lit les faits qui leurs sont reprochés d’une voix morne et à peine perceptible au fond de la salle : jets de projectiles (des mortiers et des bouteilles en verre) sur personnes dépositaires de l’autorité publique (PDAP). C. a reçu un LBD dans la jambe qui le fait chuter, son cousin T. vient à sa rescousse ce qui facilite leur interpellation pour « violence sur personne dépositaire de l’autorité publique ».

Les discours des policiers sont concordants (mot pour mot… ils ont certainement eu la possibilité de se mettre d’accord) : il y avait des mortiers usagés sur les lieux, les inculpés avaient les « mains noircies », ils ont fait tomber de leur poche « un briquet mauve », « tirs en notre direction sans nous atteindre », « participation à une manifestation non-autorisée ». Voilà pour les preuves, ni plus ni moins.

La juge pose des questions aux inculpés concernant les faits, les deux prévenus se défendent comme ils le peuvent. Elle ne laisse que peu de place à la possibilité d’user de son droit au silence : « faut être courageux ! Faut assumer ce qu’on fait ! Alors oui ou non ? ».

Quand un des inculpés tente de politiser ses actes en exprimant sa colère concernant le meurtre de Nahel, la juge rétorque sans vergogne que nous « sommes dans un État de droit, que la justice fait son travail, que ce policier n’est pas tranquille avec sa femme et ses enfants, alors pourquoi vous avez fait ça ? ».

La juge décline ensuite les personnalités des inculpés, détaillant leurs vies dans les moindres détails du casier judiciaire, leur enfance, leur consommation de stupéfiants, leur vie quotidienne permettant aux magistrats de s’en donner à coeur joie en terme d’humiliations publiques et de leçons de morale inappropriées. Le temps passé à décrire et juger leur vie a largement dépassé celui de la description des faits, preuve que ces tribunaux ne jugent pas des délits prouvés et démontrés mais bien des personnes.

La juge infantilise les inculpés en critiquant leur consommation de « joints » et leur manière de vivre avec des remarques comme : « ça aide pas le cannabis pour aller bien ? Hein ?! ». Tout en plaçant des réfelxions macronistes comme : « Pourquoi vous ne travaillez pas ? Hein ? Il y a de multiples entreprises qui n’attendent que ça des gens pour travailler… En même temps quand on passe son temps à se droguer et jouer aux jeux à gratter, faut pas s’étonner ! ». Et oui pour travailler il suffit de traverser la rue, c’est bien connu.

Et le sempiternel argument de l’irresponsabilité : « Quand on a des enfants, on va pas en manifestation non-autorisée, vous voulez que votre fils ait la même vie que vous ? Parce que là c’est parti pour. »

On donne la parole à l’avocat de la partie civile (trois policiers ont porté plainte) qui ne revient pas sur les faits mais uniquement sur le contexte et les personnalités des inculpés. « Leur haine se cristallise sur la Police, il ne sont pas conscients, ce sont des personnes influençables ». Selon lui, les faits ont eu lieu dans la pénombre ne permettant pas aux policiers de percevoir correctement l’action en détail. Etonnante la capacité qu’a la police de reconnaître des visages et des couleurs de briquet dans le noir alors que dans le même temps elle dit ne plus savoir si des bouteilles en verre leur sont tombées dessus. De fait, les violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique n’ont pu être caractérisées et n’ont donc pas été retenues à charge. Il demande tout de même 500 euros par policier (n’ayant pourtant aucun ITT). Sa plaidoirie est expédiée en 2min.

La procureure vomit son habituel blabla républicain : « la police c’est pour sécuriser les citoyens, c’est inadmissible de s’en prendre à eux, c’est pas ce qu’ils ont choisi, sous l’uniforme il y a des hommes ». Elle retient à leur encontre le délit d’« embuscade en réunion » (article 222-15-1) puni de 7 ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amendes par le code pénal.

Elle prononce des peines de prison comme si elle commandait son pain : pour T, « 30 mois de prison dont 12 mois avec sursis probatoire de 2 ans, obligation de soin, de travail et indemnisation des policiers » et pour C. « 18 mois avec sursis probatoire de 2 ans et obligation de soin et de travail, interdiction du port d’arme pendant 5 ans ».

L’avocat de la défense, M. Seyf Elddine Mokeddem, commis d’office, a sûrement oublié de qui il doit prendre la défense et ne fait qu’enfoncer le clou en appuyant lui aussi sa plaidoirie sur la soi-disant non-capacité de jugement des personnes inculpées : « des oisifs, perdus et influençables pour des faits graves et injustifiées », « 3 ou 4 joints ça crée une vulnérabilité sur les neurones ». De quels faits graves parle-t-on ? Il n’y a absolument rien dans le dossier. Il demande des aménagements de peines avec des obligations de soins psys et de travail ou des TIG, du sursis pour T. qui a déjà un casier judiciaire contrairement à son cousin.

La séance est levée. Délibéré éclair : maintien en détention pour Thierry 18 mois avec 12 mois de sursis probatoire, obligation de travail, obligation de soin et indemnités aux trois policiers (500 euros pour chacun d’eux) à payer de manière solidaire avec Christopher, qui, lui, aura 18 mois de sursis dont 12 mois de sursis probatoire avec interdiction de détenir une arme pendant 5 ans, 5 ans sans autorisation de devoirs civiques, obligation de soins et obligation de travail.

Vous pouvez apporter votre soutien et écrire à Thierry à cette adresse :

Thierry Quelot
N°d’écrou : 45434
Centre Pénitentiaire de Saint-Étienne-La-Talaudière
rue de la Sauvagère
42355 La Talaudière Cedex


Récit des comparutions suites aux émeutes à Sainté


Partout en France, les peines de prison fermes et les obligations de quitter le territoire tombent depuis 1 semaine dans les tribunaux. Le système pénal et l’ensemble des institutions qui le constituent (police, palais de justice, prisons) sont par essence même racistes, classistes et injustes. La police tue et la justice pénale, dans sa continuité, ostracise, appauvrit et détruit des vies déjà mises à mal par le système capitaliste. Ne laissons pas seules les personnes jugées et incarcérées pour rien !

Abolition du système pénal, feu aux prisons !

P.-S.

PS : Si vous avez des infos, des numéros d’écrou à nous transmettre, nous nous engageons à leur écrire et à venir en soutien des proches des détenu.es. cassis42 chez riseup.net

Nous vous rappelons aussi qu’il est possible de garder le silence en garde-à-vue, de changer d’avocat pour les suites de la garde-à-vue et de refuser les comparutions immédiates.

Notes


Proposé par k6 42
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