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ANALYSES ET RÉFLEXIONS CAPITALISME - GLOBALISATION
Publié le 7 avril 2017 | Maj le 23 avril 2020

Le grand barouf démocratique ou la dérive mafieuse du pouvoir


La démocratie est devenue un tour de passe-passe à travers lequel un certain nombre de prétendants aux fonctions électives perçoivent le suffrage et le pouvoir comme le moyen de se blanchir.

Le pouvoir s’est mué dans sa dérive mafieuse en une sorte de lessiveuse qui au terme du vote doit faire apparaître l’oie blanche. L’élection est pour certains candidats ce que les cercles de jeux sont aux parrains corso-marseillais, le meilleur moyen de s’absoudre de leurs forfaits par un double processus : l’immunité que confère le mandat électif et l’amnistie qui l’accompagne souvent lorsque, ayant conquis le pouvoir, celui qui l’exerce met en œuvre une série de réformes, en tout premier lieu dans la justice afin de créer les conditions d’une amnistie qui s’apparente à une amnésie collective. Et qui lui permet, au terme de son mandat et donc de son immunité de rester intouchable.

Un tel tour de prestidigitation avec hypnose des foules doit revêtir dans sa phase conquérante les habits du spectacle et le grand barnum trumpien en fut le meilleur exemple.

En France, les meetings de campagne ont pris un tour américain toujours plus affirmé. Le candidat Nicolas Sarkozy en a été le meilleur représentant mais la représentation n’eut pas le résultat escompté et il fut finalement arrêté dans sa course à un second mandat car les coulisses du spectacle, mis à jour, révélèrent une double facturation avec un dépassement du plafond des dépenses de campagne fixé par la loi.

Le journaliste Pierre Magnan dans un article publié le 2 mars 2017 sur le site Géopolis France Télévision souligne qu’aujourd’hui, l’affaire Fillon a remis à la une l’opposition entre politiques et magistrats. Le candidat à la présidentielle a évoqué à son propos "un assassinat".
Cette mise en cause de l’institution judiciaire, partagée aussi par Madame le Pen, et par d’autres il n’y a pas si longtemps, a atteint des sommets dans un pays voisin, l’Italie.

Silvio Berlusconi en avait fait une marque de fabrique politique, aimant se présenter en victime des juges qu’il traitait, tour à tour, de "métastases de la démocratie", "d’association de malfaiteurs au sein de la magistrature qui cherche à renverser les résultats électoraux".
Pourtant, comme le rappelle encore Pierre Magnan, Silvio Berlusconi doit une fière chandelle au monde judiciaire. L’homme d’affaires, richissime, est arrivé au pouvoir pour la première fois en 1994 dans le contexte particulier de la grande lessive de la classe politique italienne provoquée par la justice à l’occasion de l’opération mani pulite (mains propres). Dans les années 90, les actions lancées par le parquet de Milan ont mis au jour un système de corruption et de financement illicite des partis politiques. C’est toute la classe politique qui a dû se recomposer, après la disparition de partis clefs de l’après-guerre.
Et la droite italienne s’est positionnée derrière l’homme d’affaires Silvio Berlusconi, malgré son passé financier sulfureux. Celui qui a aimé se battre avec les juges en appelant toujours les électeurs à la rescousse a eu finalement une des plus longues carrières politiques de l’après-guerre italien. Ce n’est qu’en 2013 que la Cour de cassation de son pays a fini par le condamner, le rendant inéligible.

Aux Etats-Unis, la dernière élection présidentielle fut une sorte d’apothéose un peu ratée. Le candidat Donald Trump mit à son service toute une machinerie qui ressemble fort à une machination. Le Quotidien de Yann Barthès a mis en évidence certains aspects de la supercherie. Avec un reportage sur les Trumpettes, sortes de nymphettes milliardaires, vieillissantes et botoxées, Martin Weill nous offrit une plongée vertigineuse au cœur de la machine alors mise en place pour le candidat. On se trouvait quasiment dans une scène du film de Terry Gilliam, Brazil. Les vamps et les pom-pom girls accompagnaient le show man et ses propos tapageurs et on n’était pas loin d’entendre de vibrants « Hourra ! Il est le plus grand magicien de tous les temps ! » Chez l’une d’elle, un tableau montrant une scène conquérante à cheval présentait alors le candidat sous les traits de Lafayette.

Mais depuis que Donald Trump est investi et en fonction, on sait que l’Obamacare, système de sécurité sociale pour les plus démunis devra être revu et corrigé alors que les dépenses de sécurité pour le nouvel occupant de la Maison-Blanche et ses proches et pour une seule journée sont équivalentes à celles d’une année pour son prédécesseur Barack Obama. De la conquête à l’exercice, il ne faudrait pas que Lafayette se transforme trop vite pour incarner la faillite. On peut parler de spectacle raté dans la mesure où le candidat a attiré de nombreux Américains dans sa tournée électorale. Il brisait sans doute la monotonie et les difficultés du quotidien et les gens venaient le voir en mangeant des pops corn comme au cinéma et l’écoutaient sidérés par son culot. L’homme de la télé-réalité était là , sous leurs yeux, sans petit écran, sans filet et sans retenue et les entrainait dans un grand numéro d’entertainment. Ils étaient tout à la fois flattés dans leur sentiment national et divertis. Que demandait alors le peuple ? Mais dés le show terminé, l’homme devait revêtir l’habit présidentiel et l’investiture manquait singulièrement de relief et de participants. La foule sur la vaste esplanade prévue à cet effet, aux abords des grands organes du pouvoir à Washington, était finalement bien clairsemée. Et paradoxalement, beaucoup d’artistes et de personnalités du show business refusaient l’invitation.

Marine le Pen se rendit pour sa part un peu plus tard à la Trump Tower, résidence privée du nouveau Président et symbole grandiloquent et phallique de sa toute puissance. Elle voulait y rencontrer le grand gagnant pour tenter de profiter de son charisme bienveillant et rentrer en France auréolée d’une incontestable stature internationale. Elle revint finalement bredouille mais pas sans arrière-pensées inspirées par ce nouveau mentor.
Quand, en revanche, elle refuse de se rendre à la convocation du juge dans l’affaire des emplois présumés fictifs d’attachés parlementaires du Parlement européen tout en essayant d’expliquer qu’elle a d’autres chats à fouetter et qu’il est d’usage républicain de ne pas déranger les candidats en campagne, Madame le Pen, répond par une bravade et s’en sort par une drôle de pirouette.
Mais entre-temps, elle est revenue regonflée de New York et a très bien compris que les excès de Donald Trump avaient été absous par ses électeurs. Si le Front national est aujourd’hui le parti le plus poursuivi de France, c’est donc avec un culot redoublé qu’il faut faire face en pratiquant le déni. Comme l’alcoolique qui refuse de se reconnaître et d’être perçu comme tel, Marine Le Pen rejette d’un revers de main les accusations de corruption, même étayées, et tente le passage en force. Circulez, il n’y a rien à voir, le spectacle électoral doit continuer ! Cette posture est servie, comme d’habitude, avec un discours victimaire dans lequel la candidate se présente comme la cible privilégiée des juges, des journalistes, des eurocrates bruxellois et finalement de la vaste nébuleuse du système.

Elle trouve pourtant un soutien intéressant au cœur même du dit système lorsque Jean-Pierre Pernaut, en plein journal de treize heures sur TF1, vient à sa rescousse pour souligner combien il est curieux de voir la candidate frontiste embêtée par la justice à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle. Il ne s’en tient pas à la simple information « Marine Le Pen convoquée par un juge ».
Il sait comme bien d’autres, que dans ce système gouverné par l’audience, mesurée chaque jour par Médiamétrie, et sur la base duquel sont répartis les écrans publicitaires qui nourrissent l’ensemble selon l’équation simple « parts d’audience = parts de marché », les Le Pen par leurs tapages et leurs provocations ont toujours été et restent de très bons clients pour rabattre la ménagère et sa petite famille. Dans cette course à l’audience, ce système concurrentiel entres chaînes et stations implique un sous-système d’interdépendances où les connivences professionnelles, les amitiés intéressées, et les liaisons dangereuses conduisant à des affirmations d’opinions bien tranchées de la part de certains journalises, en pleine messe, ne doivent pas nous surprendre. Le même Jean-Pierre Pernaut s’était déjà illustré en juillet 2016 lors d’une transition assez glissante entre un sujet sur les sans-abri et un autre sur les migrants. Il avait repris la ligne de partage frontiste et nationaliste en faisant le tri entre les pauvres et en affirmant que les bons Français étaient moins bien lotis que les étrangers.

Le seul problème pour la candidate du Front national, c’est donc qu’elle attaque les médias en en maîtrisant les plus grosses ficelles comme elle pourfend l’Europe en en connaissant tous les rouages et en profitant largement de ses subsides. C’est là d’ailleurs l’ébouriffant paradoxe de celui qui crache dans la soupe tout en remplissant bien son écuelle. Jean-Marie le Pen était en représentation permanente bien plus qu’il n’était présent dans la représentation parlementaire. Ses absences répétées au Parlement européen ne passaient d’ailleurs pas inaperçues. Et comme Le Canard Enchaîné le rappelle dans un article du 22 février 2017, il y a déjà longtemps que le FN finance sa guerre contre l’Europe avec l’argent de Bruxelles et donc indirectement du contribuable français grâce au très sophistiqué système des attachés parlementaires.

Aux Etats-Unis, Donald Trump a fait de la réduction des impôts un des chevaux de bataille économique de sa campagne, à côté du protectionnisme. Mais si depuis quarante ans, tous les candidats à l’élection présidentielle américaine divulguent leur déclaration d’impôts sur le revenu, lui a décidé de s’affranchir de cet usage. En fait, il a reconnu n’avoir pas payé d’impôt et s’en est justifié en disant que son intelligence, sous-entendue sa parfaite connaissance du système fiscal, le lui avait permis et qu’il avait utilisé pour ce faire, les lois du pays. Puis il a repris sa diatribe habituelle contre les dépenses publiques, pour conclure que « payer des impôts serait du gaspillage ». Il continue à se cacher derrière ses avocats et ses conseillers en fiscalité. L’Amérique attend toujours. Dans un article au Nouvel Observateur daté du 27 septembre 2016, la journaliste Sarah Diffalah pose la question : de quoi Trump a-t-il peur ?

La publication de sa feuille d’impôt pourrait d’abord montrer jusqu’à quel point le milliardaire a pratiqué l’optimisation fiscale, et a créé un labyrinthe impénétrable pour les contrôleurs de l’IRS, Internal Revenue Service, le fisc américain. Elle permettrait aussi de vérifier ce qu’il donne vraiment aux organisations caritatives. Il a toujours affirmé qu’il leur donnait beaucoup d’argent. Enfin, elle pourrait permettre de connaître sa véritable fortune dont il a fait un argument de réussite et de campagne. Selon la presse américaine, après enquêtes, elle serait largement surévaluée. Gonflée, comme le personnage qui se prête à d’incessants dérapages. Le dernier en date concerne sa soi-disant mise sur écoute par le Président sortant durant la campagne. Comme à son habitude, c’est sur les réseaux sociaux que Donald Trump lance ses allégations et accusations et les pimente, à la façon d’un adolescent sans filtre ni surmoi, de piquants « sale type », « c’est un malade »… Il préfère ce medium qui n’en est justement pas un, puisqu’il n’y a pour l’actuel Président en exercice, ni modérateur, ni contradicteur sur Twitter.

Les plus avertis rappellent pourtant que cette tactique n’est pas nouvelle. Donald Trump attaque ses adversaires sans preuve au moment même où une enquête approfondie sur ses liens présumés avec la Russie de Vladimir Poutine semble porter ses fruits. Il y a des informations sur des échanges de renseignements supposés pendant plusieurs années entre Trump, son entourage et le Kremlin, dans les deux directions. Dernier coup de théâtre : le Washington Post a révélé, mercredi 1er mars, que le ministre de la Justice, Jeff Sessions – un ancien sénateur qui a notamment conseillé la campagne de Donald Trump sur la politique étrangère –, a rencontré l’ambassadeur russe Sergueï Kislyak en juillet et en septembre, contrairement à ce qu’il avait déclaré sous serment devant le Sénat lors de son investiture.
Ces deux rencontres, confirmées par la Maison Blanche, font peser sur lui des accusations de parjure (mentir sous serment constitue une grave trahison pour les Américains). Surtout, elles accréditent encore la thèse d’une ingérence russe dans la campagne présidentielle de novembre. Comparer Obama à Nixon pendant le scandale du Watergate a donc le mérite évident de détourner encore une fois l’attention de l’opinion au moment où la suspicion de collusion avec une puissance étrangère prend de la consistance.

Mardi 28 février, les médias américains se sont enflammés après le discours de Trump au Congrès. Se serait-il transformé en "Président normal" ? L’universitaire Eliot Cohen qui a quitté le parti républicain juste après l’investiture de Trump ne croit pas que le candidat hystérique se soit changé en Président sage et avisé. Il doute carrément de la santé mentale de Monsieur Trump trop sensible à la fois aux compliments et aux attaques, et donc manipulable y compris depuis l’étranger.

Le narcissisme s’avère assez ravageur lorsqu’il atteint les sommets de l’Etat. On ne le voit pas venir, peu de commentateurs et de citoyens accordaient beaucoup de crédit et de sérieux à Donald Trump qui est pourtant passé de la télé-réalité au divertissement politique puis du divertissement à la diversion tactique. Perversion de tout un système, diversion de l’opinion, subversion pour tenter d’inverser les pôles et les rôles afin d’apparaître comme le chevalier blanc qu’on maltraite et qu’on assassine, voilà qui semble inspirer bon nombre d’hommes et de femmes politiques aujourd’hui. On ne saurait trop leur recommander de voir ou revoir le film Brazil de Terry Gilliam, il nous y présente un monde décadent et la mère du protagoniste, une vieille dame à l’image de ce monde en pleine déconfiture et frappé par le terrorisme, est coiffée d’une chaussure à l’envers, signe d’une société qui marche sur la tête avec une morale totalement inversée.

Tout ceci pourrait prêter à s’étonner et à rire comme dans un bon spectacle agrémenté de tours, de facéties et de bons mots pour peu qu’on oublie que la raison d’être de la politique reste la recherche de l’intérêt général. Qu’en dirait un Mathieu Molé qui fut Ministre de la Justice de la France de 1651 à 1656, qui refusa les récompenses et les honneurs pour lui-même et pour sa famille et à qui on doit cette devise : "Servir l’Etat sans s’asservir au pouvoir"… pour ne pas asservir le peuple ?


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