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ANALYSES ET RÉFLEXIONS PROSTITUTION - TRAVAIL DU SEXE / RACISME
Publié le 25 juin 2007 | Maj le 23 avril 2020

Les Putes


Comme le fait remarquer la philosophe féministe Elsa Dorlin, ces dernières années, des thématiques féministes ont été instrumentalisées afin de défendre des politiques racistes. Notamment en 2003 lors des votes de la loi contre le port d’insignes religieux dans les lieux publics et celle pour la sécurité intérieure, qui pénalise entre autres, le racolage passif.

Abolitionnisme = Racisme !

Ces deux lois ont été défendues sur des arguments féministes et parfois même par des féministes. Il s’agissait de combattre le voile en tant que symbole d’oppression sexiste et la traite des femmes dans la prostitution. Ces lois ont eu en réalité pour conséquence de s’attaquer à des femmes et plus précisément des femmes minoritaires souvent issues de l’immigration : des musulmanes et des prostituées dont une majorité de migrantes.

Tous les discours sur la traite n’ont eu jusqu’à présent que trois conséquences pour les travailleuses du sexe :
- davantage de contrôle migratoire à l’encontre des femmes et leur expulsion
- davantage de répression contre les travailleuses du sexe exerçant dans la rue et les espaces publics
- délégitimer les mouvements de travailleuses du sexe comme non représentatifs car minoritaires face au « problème de la traite ».

Les discours sur la traite trouvent un large échos dans les médias et la population générale du fait de l’apitoiement provoqué à l’égard des « victimes ». Qui en effet ne saurait s’émouvoir de l’esclavage et de l’abus sexuel de tant de femmes et d’enfants ?
La majorité des groupes féministes s’en font d’ailleurs les relais auprès des partis et institutions politiques en particulier de gauche. D’autres féministes ont heureusement elles travaillé avec des travailleuses du sexe et des migrantes telle Gail Pheterson ou Françoise Guillemaut en France. (Ce présent texte est librement inspiré de leurs travaux.)
Or quand on lit leurs travaux, on peut ensuite se rendre compte que ces discours sur la traite s’élaborent à partir d’inventions, de mensonges, de manipulation et de confusion volontaire de chiffres.

Du côté des inventions et des mensonges, on notera par exemple :
l’invention des 40 000 femmes déportées à l’occasion de la coupe du monde en Allemagne le mythe de la traite des blanches au début du XX ème siècle.

Du côté des manipulations et confusions on notera :
- la confusion entre les migrations libres et la déportation de force
- la confusion entre l’endettement auprès de passeurs et le racket
- la confusion des chiffres sur la traite et celle des entrées de migrants irréguliers en Europe

Sur ce dernier point, l’Union européenne estime qu’il y aurait 3 millions de migrants illégaux en Europe. Europol parle de 500 000 entrées illégales par an sur le continent, chiffre repris par Eurostat pour estimer celui des femmes victimes de la traite. Tous les rapports de seconde main et mouvements abolitionnistes reprennent en choeur ce chiffre de 500 000 victimes de la traite par an en Europe sans se préoccuper comme d’habitude de son origine. Or il est bien évident que tous les migrants irréguliers ne sont pas des femmes ni encore moins tous des femmes prostituées « victimes de la traite ».

De la même manière, un rapport de 2002 des organisations UNICEF, UNOHCR, OSCE, et ODIHR estime que 100 000 femmes albanaises entre 15 et 35 ans auraient été trafiquées vers l’Europe de l’ouest ces dix dernières années. Pour la même période cependant, le Ministère Intérieur albanais parle lui de 5200 femmes.
Bien sûr tous ces chiffres sont en fait invérifiables car la prostitution et les migrations des femmes travailleuses du sexe sont illégales.

C’est néanmoins cette illégalité qui est la première responsable de ce qu’on appelle « la traite » ou que nous préférerons nommer les restrictions des libertés migratoires de femmes. Car sous le terme de traite c’est en fait toutes les femmes migrantes et leurs enfants qui sont ainsi désignées. Considérant que la prostitution ne peut être un choix libre, les mouvements abolitionnistes font de toute femme prostituée migrante une victime de la traite. Le fait d’aller chercher un passeur pour venir travailler en tant que prostituée dans les pays riches n’est pas perçu comme un acte de prise de pouvoir économique en comparaison de la situation du pays de départ parfois sexiste ou dangereux.

Le Protocole de Palerme définit la traite comme : le fait, en échange d’une rémunération ou de tout autre avantage ou d’une promesse de rémunération ou d’avantage, de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l’héberger ou de l’accueillir, pour la mettre à la disposition d’un tiers, même non identifié [ .... ]
La définition de la traite est assortie d’une disposition qui affirme le caractère inopérant du consentement de la victime de la traite à l’exploitation elle-même. Cette clause est particulièrement importante en matière d’exploitation de la prostitution : elle supprime en effet toute distinction entre « prostitution forcée » et « prostitution volontaire ».

Dans les faits, il n’y a donc pas la possibilité de distinguer le Smuggling du trafficking.

Le Smuggling est une aide au franchissement des frontières considéré comme une atteinte aux droit des Etats. Les femmes sont donc jugées délinquantes.

Le Trafficking est une exploitation considérée comme une atteinte aux droits humains. Les femmes doivent coopérer avec la police pour être reconnues victimes.

S’agissant de la France et de sa loi pour la sécurité intérieure, celle-ci pénalise le racolage passif de 3750 euros d’amende et de deux mois de prison ainsi que l’expulsion des travailleuses du sexe étrangères.
Cette loi prévoit un volet de protection des victimes de trafic si elles dénoncent un proxénète.
C’est ainsi la première fois qu’une loi en France conditionne l’obtention d’un droit à un service de délation. La personne ayant dénoncé « un proxénète » se verra obtenir le plus souvent une Autorisation Provisoire de Séjour de trois mois renouvelable en principe mais rarement dans les faits. Cette APS est conditionnée également au fait de devoir arrêter la prostitution sans qu’elle ne donne le droit à un permis de travail. Cela revient à priver la personne de toute possibilité de revenus et celle-ci se trouve contrainte de continuer de travailler dans la prostitution. Il suffit ensuite pour la police de l’arrêter de nouveau pour racolage et pour la justice de procéder à son expulsion.
De nombreux exemples sont disponibles auprès des associations de santé communautaires Cabiria à Lyon ou Grisélidis à Toulouse.

Il est intéressant de constater que si les mouvements abolitionnistes ne soutiennent pas la loi pour la sécurité intérieure de Sarkozy qualifiée de prohibitionniste, ces mouvements n’ont en revanche rien fait depuis 4 ans contre son application. Certaines de ces personnes abolitionnistes avaient même été auditionnées avant le vote de la loi en tant qu’expertes sur la prostitution sans s’y opposer.

Fin 2006, l’Amicale du Nid recevait lors d’une réunion publique la secrétaire d’état aux victimes Catherine Vautrin résolus ensemble de lutter contre la prostitution. Les associations abolitionnistes n’ont en effet pas intérêt de trop critiquer les gouvernements dont elles sont dépendantes pour leurs subventions, leur business pourrait on dire. Le pire fut sans doute au printemps 2006 à l’occasion de la coupe du monde en Allemagne afin de stigmatiser ce pays et le travail du sexe dans son ensemble.
Malka Marcovitch obtenait à l’époque du gouvernement français la diffusion d’un spot de sensibilisation diffusé sur les chaînes de télévision pour condamner la prostitution. Tous les partis politiques de gauche comme de droite formaient une union sacrée contre la prostitution. La majorité des associations féministes alliées aux groupes chrétiens intégristes relayaient la campagne dans les réseaux associatifs et politiques de gauche.

Les putes auraient aimé qu’elles se mobilisent autant contre les violences qu’elles subissent depuis la LSI mais il est apparemment préférable de s’attaquer à un pays comme l’Allemagne où la prostitution est légale et où les travailleuses du sexe peuvent travailler en sécurité alors que c’est loin d’être le cas dans la France abolitionniste.
Dans le cas de l’autre grand pays abolitionniste d’Europe qu’est la Suède, présenté comme un modèle pour sa politique contre la prostitution, on remarquera également qu’en plus de pénaliser les clients et d’enfoncer ainsi les travailleuses du sexe dans la clandestinité, ce pays a entrepris de reconduire les femmes migrantes « victimes de la traite » chez elles.

Après les discours voyons quelles sont les politiques anti-traite :

approche morale :
- la prostitution est assimilée à la traite pour réprimer l’ensemble des putes. Ces répressions engendrent plus de violences, plus de marginalisation et moins de droits.

approche anti-criminalité :
- aucun droit n’est garanti pour les victimes qui subissent alors des représailles ainsi que le harcèlement policier

approche anti-migration :
- contrôle accru aux frontières, restriction des possibilités de migrations, expulsions ce qui a pour conséquence plus de dépendance des femmes à des réseaux d’intermédiaires illégaux.

En général ce ne sont pas les violences qui sont condamnées mais les migrations, les passages des frontières, le transport et l’aide au passage des frontières. Les femmes n’ont aucun droit pour se défendre contre ces violences et l’exploitation car leur statut et leur activité sont clandestines.

Le Protocole de Palerme prévoit pourtant un dispositif de protection des victimes selon les articles 6 et 7 :
Les Etats doivent fournir aux victimes une assistance appropriée pour leur permettre de faire valoir leurs vues au cours de procédure pénale, ainsi que la possibilité d’obtenir réparation du préjudice.
Les Etats sont encouragés à fournir aux victimes un logement convenable, une assitance médicale, psychologique et matérielle, des possibilités d’emplois, d’éducation et de formation ainsi que la possibilité de rester sur le territoire.

Les résultats d’observation de terrain :

- les victimes ne sont jamais indemnisées du préjudice subi, même en cas de procès
- les femmes sont arrêtées pour séjour irrégulier
- les autres secteurs professionnels où existe du travail forcé ne sont pas pris en compte
- les droits humains des femmes ne sont jamais respectés.

S’agissant maintenant non plus des pays d’arrivées mais de départ, les mouvements abolitionnistes mènent des politiques de sauvetage mais que nous préférons nommer de kidnapping.
Par exemple au Cambodge en 2003, une opération de sauvetage a entrepris de kidnapper de force plusieurs milliers de travailleuses du sexe dans les bordels où elles travaillaient afin de les sortir de la prostitution. Elles sont ensuite envoyées dans des camps de réhabilitation où on leur fait faire un travail de couture ou dans des usines nocives pour leur santé. Leurs enfants sont également comptabilisés dans les rapports officiels internationaux comme victimes de la prostitution et de la traite. Ces opérations commando sont financés par des fonds mondiaux de lutte contre la prostitution et la traite mais également par des fonds pour la lutte contre le sida telle la fondation Bill Gates ou les programmes américains de Bush qui font de l’abstinence et de la fidélité dans le mariage les principes de prévention. Les travailleuses du sexe sont donc forcées d’arrêter de se prostituer si elles veulent obtenir du matériel de prévention dans le cadre de leur métier. Dans les faits aucune aide ne leur est donc fournie par ces programmes qui ne veulent surtout pas cautionner un éventuel soutien à la prostitution.

En conclusion, le constat que nous faisons est simple : la lutte contre la prostitution sert à lutter contre les migrations des femmes.
Les femmes n’ayant pas de possibilité légale de migrer et de travailler dans les secteurs économiques légaux, il ne leur reste plus beaucoup de choix que de trouver des intermédiaires afin d’assurer leur arrivée en Europe de l’ouest. Ces intermédiaires ne sont pas de grands groupes mafieux tels que les mouvements abolitionnistes les décrivent mais plus souvent d’innombrables particuliers faisant de la contrefaçon ou des transfrontaliers possédant un bateau de pêche, un moyen de locomotion et qui pensent arrondir leurs fins de mois en aidant au passage des frontières. Une fois arrivées, les seuls secteurs d’emploi ouverts sont le travail domestique et le travail du sexe.
C’est donc au nom des politiques anti-traite que des politiques anti-migratoires sont menées et qui ont pour conséquence de réduire le libertés migratoires et économiques des femmes les condamant à la « traite ».

Pour lutter efficacement contre les violences et contraintes que subissent les femmes migrantes et pour que la prostitution reste un choix, nous exigeons :

- la régularisation de tous les sans papiers
- l’ajout des mentions de sexe, d’orientation sexuelle et d’identité de genre dans la convention de Genève de 51 accordant ainsi l’asile aux femmes et transpédégouines
- un permis de travail pour tous les documents accordant le droit au séjour : titre de séjour, APS, récépissé de demande d’asile etc
- que les pays qui réglementent le travail du sexe cessent d’exclure les migrantes sous le faux prétexte qu’elles seraient elles des « victimes de la traite » et qu’ils accordent ainsi les mêmes droits aux travailleuses migrantes qu’aux nationales.

Ce texte provient du site :
http://www.lesputes.org/main.htm

Voir aussi :
associations de santé communautaires :
http://perso.orange.fr/cabiria/publications.html

http://www.multisexualites-et-sida.org/actualites/griselidis1.html

Lectures :
http://cybersolidaires.typepad.com/ameriques/2006/11/la_lutte_des_pu.html

http://www.mollat.com/livres/elsa-dorlin-matrice-race-genealogie-sexuelle-coloniale-nation-francaise-9782707148810.aspx

Portfolio


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