Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
ANALYSES ET RÉFLEXIONS RÉPRESSION - PRISON
SAINT-ÉTIENNE  
Publié le 12 janvier 2020 | Maj le 22 octobre 2020

Les stades de foot, laboratoire où s’expérimentent les techniques de répression


Cela fait quelques années maintenant que l’on entend régulièrement parler des supporters de foot, les fameux « Ultras » [1] que les journaleux confondent allégrement avec les hooligans, même si les deux traditions s’opposent à tous points de vue. À écouter les médias, les supporters tiendraient plus des hordes de barbares que des passionnés de foot... Affrontements, émeutes qui se sont souvent soldées par des blessés graves, alcoolisme, envahissements de terrains, banderoles et chants injurieux, racistes ou homophobes : les supporters semblent être la plaie du football, les ennemis à abattre. Ça tombe bien, l’État s’est doté depuis plusieurs années d’outils de répression fort sophistiqués, comme les interdictions de stade et de déplacement, tandis que les clubs et la ligue de football travaillent main dans la main à évacuer les groupes de supporters. À Saint-Étienne, quelques irréductibles résistent encore et toujours au progrès et à la modernité, au nom de concepts éculés comme la liberté et les valeurs populaires du football.
Discussion, parue dans Couac n°7, avec l’un des membres des Green Angels, un des principaux groupes de supporters stéphanois.

Dans un premier temps, peux-tu nous dire à quand remonte la répression ?

Dès 1993, est née la première loi anti-hooliganisme qui a introduit des interdictions de stade motivées par décision de justice, suite à des violences. Ensuite, il y a eu la création d’un service opaque des renseignements généraux qui traitait spécifiquement de la question des supporters. En 2006, la loi LOOPSI a permis la création d’une police spéciale, la SIR, et surtout introduit les interdictions administratives de stades (IAS), durcies en 2010 par la LOOPSI 2. Elles naissent dans le contexte de la mort d’un supporter parisien, tué par un policier alors qu’il agressait un supporter juif après un match entre le PSG et le Hapoël Tel Aviv. Plutôt que de gérer la situation à Paris, qui est effectivement problématique à ce moment-là, l’État préfère imposer la répression à l’ensemble du territoire. Les interdictions de stades sont prises sur décision préfectorale et sont pour nous un fléau, parce qu’elles peuvent être décrétées de manière préventive, arbitraire et discriminatoire, et obligent les personnes concernées à pointer les soirs de match dans un commissariat de la ville. Le problème, c’est que le recours contre ces interdictions, devant le tribunal administratif, n’est pas suspensif et que le jugement a généralement lieu après la fin de l’interdiction. C’est la même chose avec les OQTF, les assignations à résidence ou les réquisitions abusives, l’administration ne risque rien et la personne n’a pas grand chose à gagner à contester. Alors des personnes se retrouvent à pointer des dizaines de fois pour un attroupement, un saut de barrière, une banderole ou un fumigène. Depuis leur création, le ministère a toujours évité de faire le bilan du dispositif, notamment du point de vue de la violence qu’il est censé combattre.

En 2013, vous avez dissous l’association Green Angels 1992...

Fin 2012, après le vingtième anniversaire des Green Angels, la ligue de football professionnel (LFP) a commencé à fermer les tribunes des supporters qui utilisaient des fumigènes. On a fait partie des groupes visés. La ligue a fait pression sur les clubs, qui à leur tour ont fait pression sur leurs supporters. De son côté, la préfecture sanctionnait lourdement aussi les gens qui utilisaient les fumigènes. On était dans une logique de dialogue de notre côté, on avait fait certaines concessions, mais en l’absence de discussion de leur côté (la préfète de l’époque, Fabienne Buccio a ensuite été nommée préfète du Pas-de-Calais pour démanteler « la jungle »), on les a menacés de dissoudre l’association, les privant ainsi de tout interlocuteur, ce qu’on a finalement fait en 2013. La préfecture a alors convaincu le club du fait qu’on était indésirables, et pendant un an et demi, on a été empêchés de supporter notre équipe. C’est d’autant plus facile pour la préfecture que c’est elle qui estime le risque de trouble à l’ordre public que constitue le match (de A – sans risque – à C – haut risque), déploie le dispositif en conséquence, puis présente la facture au club, qui peut se retrouver complètement étranglé financièrement. Il y a eu jusqu’à 35 interdictions de stade, des perquisitions, on n’avait plus de place pour les matchs à l’extérieur, on a subi des attaques de fascistes en Ukraine... À cette époque, le groupe a retapissé la ville avec des affiches « Liberté pour le kop sud », en été. On a finalement recommencé à travailler en bonne intelligence avec le club, mais uniquement avec le club.

Et la répression a cessé depuis ?

Non. Le pire, c’est que les interdictions de stade, comme les interdictions de déplacement et les fermetures de tribunes sont devenues des solutions de facilité, une manière de se couvrir pour les préfets. En 2017, un jour où la LFP avait fermé la tribune, encore pour une histoire de fumigènes, 350 supporters de l’ASSE sont entrés dans le stade pendant 15 minutes, sans rien faire, uniquement pour démontrer l’absurdité de la chose. Le préfet, qui l’a pris personnellement, a dû déplacer des cars de flics un soir d’élection présidentielle jusqu’au stade, et quand ils sont arrivés on n’était plus là. Comme il était impossible de prononcer 350 interdictions de stade, et d’obliger les commissariats de la ville à recueillir 350 pointages les soirs de match, la préfecture a pris 10 personnes qu’elle considérait comme des meneurs et les a interdites de stade, pour l’exemple. Comme ça le préfet a retrouvé son orgueil, et des pauvres types ont été emmerdés pendant des mois, certains ont même perdu leur boulot parce qu’ils travaillaient le soir.

Petit hommage à Evence Richard, préfet de la Loire. Trois membres des GA ont été condamné à 1000 euros d’amende chacun pour cette banderole.
Interruption du match suite à l’invasion d’une tribune par des Ultras stéphanois en protestation à une mesure de huis clot par la LFP en 2017

Parle-nous des interdictions de déplacement...

Le préfet peut aussi interdire, dans le cadre de certains matchs, à tout supporter d’un club ou « considéré comme tel », la présence dans un périmètre donné. Il peut arriver que le ministre de l’intérieur, en appui à l’arrêté préfectoral qui n’a de valeur que sur le département, élargisse l’arrêté à plusieurs départements, à une région, etc. Le jour du derby Lyon-Sainté, le type qui va comme tous les jours bosser à Lyon et qui n’a peut-être jamais mis les pieds dans un stade peut se faire arrêter à tout moment. Quand c’est un match entre Saint-Étienne et Nice, tu peux être interdit de présence dans le quart sud-est de la France, pour peu que tu aies un sticker de l’ASSE sur ta voiture. Lors d’un déplacement à Monaco, qui nous était interdit parce qu’il y avait le même week-end le grand prix de Monaco, on avait monté tout un plan pour y aller quand même, en passant par Vintimille, par la route des migrants. Les flics étaient dingues de voir autant de blancs. Une station avant, les CRS et le sous-préfet nous attendaient, nous ont bloqués et nous ont remis aux autorités italiennes.

Quel est le rôle de la ligue dans tout ça ?

La LFP joue aussi un rôle hyper important là-dedans, parce que c’est elle qui permet aux clubs de participer au championnat et d’organiser les matchs. La ligue a un règlement que tous les clubs ont signé, et qui comprend un volet sécurité. À chaque match, un délégué de la ligue compte les fumigènes, tout ce qui peut constituer des entorses au règlement, chacune coûtant tant d’euros d’amende, au club organisateur, et ça peut aller jusqu’à la fermeture du stade. C’est pareil au niveau européen : à chaque début de match de coupe d’Europe, l’ASSE doit déjà 5000 euros à l’UEFA parce qu’il y a des spectateurs debouts dans les escaliers des tribunes... Du coup, le club est soumis à la ligue, et bien obligé de mettre à son tour la pression sur les supporters et de se conformer à ses normes sécuritaires et capitalistes. En France, les amendes pour pyrotechnie représentent plus d’un million d’euros, dont on ne sait même pas où ils vont. La ligue et le ministère travaillent ensemble, et ce sont les supporters, à la fin, qui raquent.

Comment tu vois la place des supporters dans le foot, à l’avenir ?

Avec les Green Angels, on est totalement indépendant du club, on refuse toute subvention, on achète nos places, on loue notre local, ce qui nous permet de porter nos idées auprès de la direction. On a aussi la chance à Saint-Étienne d’avoir un club qui n’a rien gagné depuis des plombes et qui est surtout reconnu pour ses supporters, du coup il n’a pas intérêt à se les mettre à dos. On défend un football populaire, on se bat pour que les abonnements soient pas trop chers, on lutte contre le naming [2] du stade. Ailleurs, des groupes se sont fait manger, par exemple à Paris mais aussi à Marseille : les clubs qui deviennent des pompes à pognon gagnent beaucoup plus sur la vente de maillots ou les droits télé que sur les ventes de places, et les supporters à Paris ont accepté des choses pour revenir au stade qu’on n’aurait jamais accepté à Saint-Étienne. Les clubs français ne veulent quand même pas sortir complètement les supporters et se retrouver avec des stades morts, comme en Angleterre ou en Espagne, et lorgnent de plus en plus du côté de l’Allemagne.

Pourquoi les fumigènes, au final ?

Le problème des fumigènes symbolise bien la situation : pour nous c’est un moyen d’animation, pour eux c’est une arme. Jusqu’en 2009, il y avait plus de violence qu’aujourd’hui, mais maintenant qu’elle a quasiment disparu, il n’y a plus grand chose à réprimer, à part le fumigène... Alors c’est devenu l’objet de la discorde, malgré le fait que la ligue, Canal, tout le monde montre des images de fumis dans les pubs parce que c’est joli. Mais comment justifier les contrôles, leurs emplois autrement ? Du coup ils s’enferment là-dedans, ils ne veulent pas suivre les exemples à l’étranger où c’est autorisé, et nous on ne veut pas lâcher : du coup sur les 20 dernières convocations, il y en a eu 17 à cause des fumigènes.

Ambiance dans le Kop Sud pour ASSE-PSG le 15 décembre 2019

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Pendant des années, les groupes se sont débattus contre ces mesures, se sont formés, organisés pour grappiller quelques-unes des libertés perdues et survivre. Avec du recul, on s’est rendus compte qu’on faisait partie des cobayes du système répressif actuel, c’est-à-dire une législation d’exception et administrative, comme celle qui a été appliquée pendant l’état d’urgence et qui est rentrée dans la loi aujourd’hui, avec les assignations à résidence, les interdictions de territoire ou de se réunir et avec une criminalisation de groupes entiers. En 2012, par exemple, c’est un supporter de Montpellier, pendant un match Montpellier-Sainté, qui a été la première personne éborgnée par un LBD en France [3]. Aujourd’hui, alors que le conseil constitutionnel suspend les interdictions de manifester, nous subissons depuis des années le même type d’empêchement de circuler et de s’associer. Nos avocats comptent se baser sur cette décision pour contester les interdictions de stade, et au parlement des députés se bougent pour créer un mission parlementaire sur le sujet. On espère à minima qu’ils alignent les durées des IAS (deux ans maximum, trois ans en cas de récidive) sur les interdictions de manifester (trois à six mois).

Deux vidéos réalisées par les GA :

Notes

[1Du nom d’un mouvement né en Italie, les ultras sont considérés comme les supporters les plus passionnés et parfois les plus excessifs.

[2Pratique qui consiste à donner un nom de marque à un stade ou un lieu public.

[3L’État a été condamné cet année à lui verser 65 000 euros de dommages et intérêts.


Proposé par Couac
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