Manuel habite en France depuis quelques années, il n’a pas de papiers, il nous a raconté comment ça se passe pour lui qui est habitué aux parcours en pointillé.
En 2015 j’ai été placé à l’asile de nuit. Après quatorze mois, on nous a logés dans un appartement, on est restés là bas presque dix mois. Après ils nous ont dit qu’il fallait partir, on est partis de là parce qu’ils ne pouvaient pas garder des gens plus de deux ans.
Son droit au logement dépend de sa situation administrative :
Une année on a été placés à Jules Ferry, c’est un hôtel, une résidence d’étudiants vers Centre Deux. On n’a pas pu y rester parce que ma femme est passée en procédure de Dublin [1] et alors, la PADA [2] et L‘OFII [3] ne pouvaient rien faire. Ils nous ont dit « faut vous débrouiller ». En mars, elle va faire une nouvelle demande d’asile. Ça c’est pour elle mais pour moi, depuis que je suis débouté en 2012, je n’ai pas le droit à un logement.
Cette année, de début décembre à fin mars (pendant la période de la « trêve hivernale »), Manuel est orienté par le 115 vers les Lauriers, le nouveau lieu d’hébergement d’urgence à Saint-Étienne, qui remplace le gymnase de La Rivière à Bellevue. À l’abandon depuis quelques années, le lieu devrait être réhabilité par une association. En attendant, il propose 90 places d’hébergement d’urgence... dans un réfectoire. Manuel s’y rend tous les soirs avec sa femme et sa fille de 8 ans :
C’est une grande salle, comme un terrain de basket mais il est différent par rapport à Bellevue, à coté dans un autre bâtiment il y a le foyer Clair Vivre, un foyer de jeunes travailleurs avec une dizaine d’étages.
C’est une ancienne résidence pour personnes âgées située dans le quartier Montchovet – La Marandinière, ce choix géographique n’est pas anodin, c’est un quartier excentré, plutôt difficile d’accès. Les personnes à la rue sont donc reléguées aux frontières de la ville, aux portes du Pilat.
Même si le Progrès tente de faire la promotion de ce nouveau lieu d’hébergement, les conditions d’accueil sont en fait sensiblement les mêmes. Comme au gymnase de La Rivière, on y trouve les mêmes lits de camps, alignés dans une grande salle, sans intimité :
C’est un endroit où il faut que chacun se mette dans son coin, une fois qu’on est là -bas avec ma famille on reste sur le lit, on bouge pas. Par exemple si des enfants jouent, on peut pas dire : ‘stop on veut se reposer’. Leurs parents les laissent faire, on peut pas leur dire d’arrêter, chacun a ses revendications.
Les nuits se passent entre les rondes de vigiles et d’autres bruits :
Il y a des gens de la sécurité, trois personnes toute la nuit, même si vous pouvez pas dormir, ils passent tout le temps pour surveiller les gens, ils vont dans l’autre immeuble à côté et reviennent.
À 90 personnes dans un réfectoire on peut facilement imaginer les difficultés imposées par cette promiscuité :
Là bas c’est dur pour dormir parce qu’il y a les bruits des petits, on peut pas dormir même la nuit. Le matin il faut se réveiller, il fait froid, même avec la neige vous êtes obligés, il faut sortir. À 7h il faut se réveiller et à 9h tout le monde dehors, le soir à partir de 19h on peut rentrer. [...] C’est seulement une place pour rester au chaud, on peut pas dormir.
Quant aux travailleurs sociaux, ils ne sont présents qu’au moment des entrées et des sorties, le matin et le soir :
En 2016 quand j’étais à Bellevue il y avait une assistante sociale, cette année je ne l’ai pas vue, c’était bien pour savoir dans quelles procédures on était, pour nous donner des idées de recours par exemple.
Saint-Étienne Le Magazine affirme un besoin de voir la ville se transformer et s’embellir « par petites touches ou par le biais de travaux de plus grande envergure ». Exemples parmi d’autres : le nettoyage des arches de Carnot pour les rendre « archipropres » a coûté 270 000 euros ; du côté du cours Victor Hugo, « pour rendre les terrasses des cafés et des restaurants plus confortables » et donner « une tonalité plus verdoyante à cet axe clé du centre ville », la ville investit 230 000 euros. On comprend rapidement que l’équipe municipale fait un choix délibéré de dérouler un tapis rouge aux investisseurs et aux promoteurs, et d’entasser celles et ceux qui ne sont pas dignes de la ville telle qu’ils la façonnent et l’anticipent.
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