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SAINT-ÉTIENNE   LOI TRAVAIL (2016)
Publié le 12 septembre 2018 | Maj le 25 avril 2020

Loi Travail : la répression continue


Si la Loi Travail a été adoptée à l’été 2016, la répression envers les personnes ayant participé aux protestations contre le texte au printemps continue en revanche à être d’actualité. Jeudi 13 septembre 2018, huit personnes sont convoquées au Tribunal de grande instance de Saint-Étienne (leur avocate va demander un report). Le procès le plus emblématique est celui engagé contre Martin P. On y revient avec des articles du Couac.

Prime à la casse ? Récit de l’audience du 9 octobre 2016

Le 9 octobre 2016, Martin était appelé à comparaître devant la Cour d’appel de Lyon. Le jugement en 1re instance datait de septembre 2016 [1]. Il avait alors été reconnu coupable de faits de violences sur sept policiers qu’il aurait blessés à lui seul en moins d’une minute ; et condamné à 8 mois de prison avec sursis, à un total de 3850 € d’amende à titre d’indemnités pour les policiers victimes, et à 5 ans d’inscription au casier judiciaire n° 2, qui signifie interdiction pendant cette période d’exercer dans la fonction publique. Tant Martin, que les policiers et le procureur avaient décidé de faire appel de ce premier jugement.

C’est une foule nombreuse de soutiens, ami-es, camarades politiques et syndicaux de Martin, parfois venu-es de loin qui se massent ce 9 octobre devant le palais de justice « historique » de Lyon et ses 24 colonnes (quartier Saint-Jean). Martin est jugé pour des faits qu’il aurait commis lors d’une manifestation du mouvement contre la Loi Travail du printemps 2016 à Saint-Étienne, et le nombre de personnes présentes au procès témoigne des traces vivaces dans les esprits de ces moments d’agitation sociale. Dans la salle d’audience, l’ambiance est nettement moins punchy. Déjà parce que le tribunal fait la surprise de prévoir un réduit d’environ 20 places, quand les soutiens à l’extérieur sont venus plutôt à 200. Belle formule que les mots d’audience publique. Mais venons-en au contenu.

L’avocate de Martin, Me Thiébault, commence par demander à la Cour de prononcer la nullité de la procédure. Elle pointe que le procès de son client est inéquitable : la défense n’a absolument pas eu accès aux preuves majeures des faits reprochés (voir plus loin). Jamais ne lui a été montrée LA vidéo qui est censée l’accabler. Mais dans cette affaire comme dans toutes celles de violences sur des policiers ou par des policiers, ces derniers sont enquêteurs et parties prenantes... L’avocate demande également la nullité de sa garde à vue : ayant eu lieu plusieurs jours après les faits, elle apparaît comme une pure et simple mesquinerie de la part des enquêteurs, qui n’avaient nul besoin de cela pour interroger Martin P. Celui-ci, absent lors de la perquisition qui devait le cueillir, s’est en effet présenté le jour même au commissariat sur demande des policiers. Dans sa GAV, rien n’a été fait pour organiser une confrontation avec les policiers-victimes, ceux-ci ayant « quitté leur service ». C’est de 24 h de détention gratuite dont écope Martin P. à ce moment…

La Cour entame ensuite le traitement du fond de l’affaire, par un rappel des faits : le 12 mai 2016, une manifestation a lieu devant la permanence du député PS de l’époque J-L Gagnaire à Saint-Étienne. Des manifestants réussissent à s’introduire dans le bâtiment pour y déployer une banderole, mais ils y sont retenus par un équipage de la BAC (qui va jusqu’à les tenir en joue !). Pour « dégager la voie » dans la rue remplie de manifestants, des policiers de la CDI (Compagnie Départementale d’Intervention, chargée du maintien de l’ordre) s’avancent, menaçants, en frappant leurs boucliers de leurs matraques… Des personnes présentes dont Martin P. se retrouvent bloquées sur un trottoir étroit, entre la rangée de policiers-tortues ninja qui progresse et une foule dense, ne pouvant s’extraire facilement. C’est sur ce moment précis de la manifestation, que Martin P. est sommé de s’expliquer sur les gestes qu’il aurait eu. Les policiers de la CDI disent avoir été agressés et frappés par « trois individus violents », parmi lesquels ils auraient ensuite reconnu Martin P. sur la base de photos issues d’une vidéosurveillance. La Cour lui notifie, entre autres, les ITT constatées sur les policiers-victimes, sur la base de « douleurs, blessures, chocs psychologiques ». Le procureur et l’avocat des parties si-viles n’ont par la suite à la bouche que des gaffes (oublis du nom du prévenu…) et des arguments fragiles, peu étayés, peu préparés ; pour demander confirmation de la peine prononcée en première instance pour l’un, et pour l’autre, augmentation des réparations financières pour ses clients, à titre de dommages.

La défense est ensuite appelée à plaider. Le scénario que l’avocate décrit apparaît de plus en plus ubuesque : une seule personne est ici accusée d’avoir infligé des blessures à sept policiers casqués, avec boucliers et équipements de protection. Dans leurs dépositions imprécises voire inexistantes (l’un d’eux déclare « je ne vois pas à quoi sert de témoigner » !), un seul d’entre eux est affirmatif sur le fait d’avoir été « violenté » : « ils ont cassé mon casque et mon bouclier »… Mais peut-être pas par Martin : sur présentation de sa photo, il déclare : « Ah mais non, c’était pas lui en fait ! ». Le récit policier est manifestement incohérent, et ils sont 7 à porter plainte alors qu’on ne voit que 5 policiers charger sur les photos… Un dernier élément, s’il en fallait, est avancé sur la fin de l’audience par l’avocate : en date du lendemain des faits, on voit sur des photos dans la presse locale, plusieurs des policiers, pourtant déclarés « blessés » et inaptes au travail, qui assistent à la visite à Sainté du ministre de l’Intérieur de l’époque, B. Cazeneuve...

De cette audience, il ressort que la police revancharde a dû se contenter de prendre en exemple une seule personne, et la pointer comme particulièrement « violente » au milieu d’une foule (prétendument) très hostile. Peu soucieuse de sa crédibilité, aurait-elle l’habitude qu’un tel récit suffise à convaincre une Justice complaisante à son égard ? Sur les preuves avancées, les parties n’auront eu accès qu’à des photos (issues de la fameuse vidéo), dont le fichier-source est devenu mystérieusement indécodable, et illisible. Il n’a donc pas été possible de voir de preuves du réel déroulement de la scène. Dans le rendu de son jugement le 13 novembre, sur cette base, la Cour s’estime d’ailleurs « dans l’incapacité de statuer » ! Ce qui renvoie au passage Martin P. à un nouveau procès et à de nouveaux frais d’avocats, à un flou prolongé sur son sort, et laisse aux policiers une nouvelle chance de plaider leur cause… Alors même que le récit des faits dépeint plutôt une petite manifestation ce 12 mai 2016, qui ne s’est pas dispersée ou dissociée d’éléments prétendus violents, mais a dû faire face à ce qui semble bien être une agression policière gratuite.

Il a été montré que ces dernières années, les dédommagements pour les policièr-es se portant parties civiles dans ce type d’affaires ont eu tendance à exploser, se transformant en manne financière pour les susnommés, ainsi que pour leurs avocat-es. Dans des enquêtes de presse et même un rapport de l’Inspection Générale de l’Administration ! Voir : « Justice-police, en phase », F. Jobard, le Monde, 31/10/2006. Ou encore « Outrage et rébellion, un bon filon remis en cause », anonyme, 20/01/2014. De là à soupçonner que dans notre cas aussi, il s’agit pour les policiers d’essayer d’obtenir une bonne petite prime de fin de mois…

Récit de l’audience du 5 février 2018

Lundi 5 février 2018, à 13h30, un rassemblement de soutien se masse devant les portes de la Cour d’appel de Lyon où a lieu une nouvelle audience du jugement en appel de Martin.

Témoignage d’Hélène, une membre active du comité de soutien :

… Le comité de soutien appelait à une mobilisation massive pour le soutenir ce jour-là. Quelques 200 personnes venues de toute la France ont répondu présentes et sont restées l’après-midi dehors pour accompagner Martin dans cette épreuve supplémentaire. Tandis que certains proches, famille, amis et camarades, sont allés à l’audience avec lui, le gros des troupes s’est resserré devant le tribunal. Les prises de parole se sont succédé, toutes rappelant les injustices et les incohérences de ce procès, revenant sur d’autres cas de répression syndicale et politique, faisant état d’une situation sociale et politique toujours plus catastrophique.

À cette audience, miracle, on a enfin réussi à rendre visible LA fameuse vidéo, celle-ci ayant été fournie tardivement à la défense et fer de lance de l’accusation, elle ne semble pourtant pas accabler Martin. On le voit plutôt s’interposer entre les nombreux manifestants et les forces de polices en nombre réduit. Il y aurait d’après la première condamnation eu sept policiers violemment agressés, mais vidéo à l’appui et même avec beaucoup d’imagination, on ne visualise que 3 policiers proches de Martin…

Suite du récit d’Hélène :

Et puis Martin est ressorti, accompagné de ses proches et de son avocate. Encore sonné, blessé aussi, d’avoir été accusé par le Procureur d’être un menteur et un agitateur. Et puis inquiet ? Comment croire que des preuves, des bilans d’expertises, des arguments logiques et une bonne plaidoirie suffisent à relaxer les innocents quand nous savons que la justice de classe est à l’œuvre ?Comment y croire quand nous savons que l’appareil judiciaire français ne remet jamais en cause la parole des policiers ?

Bien sûr, le verdict est mis en délibéré, réponse différée qui évite toute réaction des soutiens. Et encore une fois, l’attente se poursuit. Le verdict est tombé le vendredi 9 mars : Martin est condamné à 6 mois de prison avec sursis, à verser 800 euros à un policier et 500 euros chacun à deux autres, ainsi qu’une inscription de 5 ans au casier n°2 (soit une interdiction d’exercer dans la fonction publique pendant 5 ans) mais aucune amende.

Commentaires d’Hélène :

La vidéo prétendument accablante présentée par l’accusation a mené la Cour d’Appel non pas à aggraver la condamnation de Martin mais à refuser des indemnités à 4 policiers. Bien sûr, ni Martin ni le comité de soutien ne se satisfont de ce verdict, puisqu’une fois encore tous les éléments avaient été apportés pour prononcer la relaxe. Mais la « justice française » a débouté 4 policiers, du jamais vu ! Nous avons obtenu un aveu à demi-mots, de juges qui savent que Martin est innocent mais qui l’ont condamné quand même, parce qu’il n’y avait pas d’autre issue. Parce qu’un procès politique est un procès politique.

C’est fini ?! Non. Car plusieurs militants font face à des frais exorbitants (amendes, avocats, indemnités, consultations). Pour ne parler que des cas stéphanois, Yvan et Jules ont été condamnés en appel à plus de 6000€ d’amendes et d’indemnités, ainsi que 4 mois de prison avec sursis pour Jules. L’appel pour Elli, Victor et Yohan n’a pas encore eu lieu. Violences policières, multiples condamnations, gardes à vue, etc : à tout cet arsenal répressif, on peut ajouter la technique de l’étranglement financier.

P.-S.

Une caisse de solidarité a été mise en place par le Comité de soutien pour payer les frais de justice, mais si vous n’avez pas le sou, de multiples façons d’aider sont possibles, et des soirées de soutien sont souvent organisées.

Notes

[1Lire dans Couac n°1, « Sept d’un coup ! ».


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