Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
ANALYSES ET RÉFLEXIONS MOBILISATIONS - LUTTES
LOI TRAVAIL (2016)
Publié le 30 juin 2016 | Maj le 23 avril 2020

Nous ne voulons pas l’ersatz et la migraine !


De quelques considérations, dans lesquelles nous ne communiquerons pas sur la pseudo-violences de quelques manifestants lors de la manifestation parisienne du 14 juin 2016, mais où nous essaierons de contribuer modestement à la lutte en cours.

Une conscience sans scandale est une conscience aliénée.
G. Bataille, La littérature et le mal.

Nos seules manifestations, restant rares et brèves dans les premières années, voulaient être complètement inacceptables ; d’abord surtout par leur forme et plus tard, s’approfondissant, surtout par leur contenu.
G. Debord, Panégyrique

Exorde

Le haut degré de séparation/division entre les individus et l’objet de leurs "activités", entre les individus et la nature, et bien sûr entre les individus eux-mêmes, que les divers dispositifs de la domination marchande n’ont cessé d’imposer toujours plus profondément depuis plus de deux siècles, a commencé de vaciller ici et maintenant sur ses bases. La lutte "sociale" qui a débuté en France voici environ trois mois - et dont nous pouvons dire qu’elle s’inscrit, au moins partiellement, dans la continuité de celle qui en Grèce commença dans le courant de l’année 2009 [1] - a d’ores et déjà en effet permis de rompre, quoique imparfaitement, avec un train-train quotidien mortifère où l’isolement de chacun ne l’enviait jamais en rien à la misère de cette survie qui, à peine assurée, était toujours de plus en plus connue de presque tous. Partout là où ne subsistait plus il y a peu qu’un sommeil peu reposant – tant il est vrai que le repos lui-même n’était plus guère consenti qu’à crédit -, reparaissent aujourd’hui la libre palabre et les débordements vitaux de la révolte. Mais qu’un tel mouvement ait de quoi nous réjouir ne doit pas nous dispenser d’en observer en sus les limites et les failles ; la révolte n’est pas la révolution, moins encore l’assurance de sa victoire.

Nuit Debout

Ainsi avons-nous pu constater deux fâcheuses tendances lors des rassemblements dits de "Nuit Debout", deux fâcheuses tendances qui, à dire vrai, diffèrent bien plus quantitativement que qualitativement, puisqu’il est patent que si l’une apparaît le plus souvent à chaque fois qu’une grande quantité de personnes sont rassemblées, l’autre au contraire n’apparaît qu’au sein de réunions dont les participants vont s’avérer peu nombreux et, conséquemment, peu visibles.
La première tendance, qui consiste donc à multiplier inlassablement les assemblées générales et les votes, conduit nécessairement à reproduire ce qu’elle prétendait d’abord critiquer, en ceci qu’elle ne fait de toutes façons d’emblée qu’en reprendre les dispositifs pseudo-démocratiques réellement aliénés. Le vote, en effet, au contraire de la libre palabre évoquée ci-dessus, contraint souvent à des prises de décisions qui n’avaient rien d’indispensables et qui, de ce seul fait justement qu’elles n’étaient pas indispensables, s’avèrent fréquemment provoquer, à plus ou moins long terme, de la division ; laquelle division ne manquera pas bientôt de recréer les vieux clivages politiques nés de la falsification spectaculaire marchande.
De son côté, l’assemblée générale – qu’elle soit suivie d’un vote ou non -, d’être toujours déjà en elle-même une succession de courtes paroles écoutées sans répliques possibles ou presque, ne peut que finir en dernière analyse par générer chez la plupart des participants un ennui tel que l’épuisement ne tardera pas de les
gagner bientôt. Comment, d’ailleurs, se pourrait-il qu’il en soit autrement pour des populations déjà si fatiguées par le système électif officiel qu’elles en sont heureusement venues à s’abstenir majoritairement d’aller aux urnes. Bref, à plus ou moins longue échéance, la forme "assemblée générale/vote" ne peut que finir par se coaguler en puissance abstraite-séparée répondant aux intérêts des quelques-uns sur place qui auront su, plus ou moins consciemment, faire accroire l’universalité de ces intérêts, ou défaire le mouvement en le replongeant dans le néant duquel il avait émergé.
La seconde tendance, qui n’exclut pas entièrement la première en tant au moins qu’elle ne s’affranchit pas toujours non plus du dispositif de la votation [2], a toutefois de particulier ceci qu’elle s’apparente bien plutôt à des réunions "d’alcooliques anonymes" qu’à celle de conseils ouvriers ou de comités révolutionnaires. Non point fort heureusement qu’on s’y abstienne de boire pour y évoquer ses déboires avec la rinçonnette, mais on y expose à tour de rôle si volontiers ses névroses et indignations sui generis que parler là de simples conciliabules de « névrotiques anonymes » ne semble en rien outrancier. Or, quel que puisse être l’intérêt, parfois indéniable au sein d’un groupe et pour le groupe, de tels relations innervées de soi, l’expérience montre aussi combien de leur fastidiosité ne se dégage la plupart du temps que des silences gênés ; iceux silences ne manquent jamais de reléguer les meilleures aspirations révolutionnaires au mauvais rang de château en Espagne. En sorte qu’on n’aura toujours bientôt là encore d’autres choix que celui de retourner à la gestion neurasthénique de son frêle oikos, ou de se subsumer à nouveau sous une représentation séparée-abstraite. Et, tandis que la première tendance des « Nuit-Debout » permet au moins d’espérer générer l’existence d’un nouveau parti politique – cette coagulation en puissance abstraite-séparée répondant aux intérêts des quelques-uns sur place qui auront su, plus ou moins consciemment, faire accroire l’universalité de ces intérêts, tel que Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne -, on n’aura ici d’autre espace politique où réassigner sa voix que sur l’un d’entre ceux qui font d’emblée partie de l’infrastructure marchande : le mélanchonisme, qui prépare, au cas où et comme ses coreligionnaires de Grèce et d’Espagne, la contre-révolution, risque fort en France de tirer dès lors son épingle du jeu.

Syndicalisme

Qui, cependant, continue de ne pas déposer son être sur le fond rogue d’un parti, trouve souvent, sur le chemin de sa révolte actuelle, divers syndicats l’invitant à se joindre à eux pour défendre ce qu’il est convenu d’appeler « les acquis sociaux » ou, selon une mode récente, « les conquis sociaux ». Mais - ainsi que nous l’avons déjà dit ailleurs - à quelques exceptions près, le syndicalisme, qui a toujours pris l’apparence de qui vise à améliorer la vie quotidienne, n’a réellement toujours déjà pour objet que le maintien de l’ordre existant ; la défense éternelle des « acquis » ou « conquis sociaux » ne dit d’ailleurs jamais rien d’autre que : ce qui existe hic et nunc est bon, ce qui est bon existe hic et nunc ! En quoi le « there is no alternative » thatchérien ne serait pas loin, si n’était qu’il a toujours bien plus tâché d’atteindre à un ordre social existant augmenté [3] plutôt que seulement stabilisé. Quoi qu’il en soit, la limite essentielle, à nos yeux, des syndicats, tient donc à ceci que l’idée de révolution leur est presque absolument étrangère [4], et ce d’autant plus que leur structure interne, généralement proche de celle des partis politiques dits représentatifs, les invite à travailler d’abord comme ces derniers à maintenir leur propre existence, quitte à agir au contraire des intérêts de leurs adhérents. Un syndicat, toutefois, ne trahit pas plus ses militants et sympathisants qu’un parti ses partisans et électeurs ; il est dans la nature même de tout organe hiérarchisé d’oeuvrer prioritairement en faveur de sa hiérarchie. C’est pourquoi dans la lutte en cours il s’agit selon nous de ne s’associer aux syndicats qu’avec parcimonie, lors des quelques moments où les intérêts des comités autonomes – lesquels devront toujours être anti-hiérarchiques dans leur forme comme dans leur contenu – se croisent avec les leurs.

Ne pas se diviser dans la bataille contre la domination ne signifie pas qu’il faille consentir à toute la vile industrie de tous ses ersatz, sans quoi nos lendemains risquent une fois encore d’être faits de migraines.
Et c’est justement ce à quoi répond notre soi-disant violence qui, pour autant qu’elle ne veut plus du monde renversé n’en veut ni l’ersatz ni la migraine. Le pouvoir n’est pas à prendre, il est à détruire !

À bas le travail
À bas l’argent
À bas l’Empire-marchand
VIVE LA COMMUNE

Comité A.E.C, le 15 juin 2016

Notes

[1Que l’amorce de cette lutte fût bientôt l’occupation de quelques places publiques en témoigne suffisamment - Voir à cet égard notre texte La contre-insurrection qui vient, modestes propos sur la situation grecque. (http://ecoeuretcuisine.canalblog.com/archives/2015/05/04/31999592.html#
comments
)

[2Votation ici plus dénuée encore de tout impact concret, pratique, tant le petit nombre de participants la voue aussitôt à sombrer dans le néant de la parole en l’air, où seule l’autosatisfaction d’avoir apparemment su décidé de quelque-chose – mais quoi – autorisera enfin chacun à retourner souriant à la gestion de son oikos intime.

[3Nous parlons ici « d’ordre...augmenté » comme on parle ailleurs, chez les imbéciles transhumanistes pour être précis, « d’Homme augmenté ».

[4Que la plupart des syndicats soient pour une bonne part financés par l’État en dit suffisamment long sur ce point.


Proposé par Léolo
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