Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
ACTUALITÉS RÉPRESSION - PRISON
Publié le 15 février 2004 | Maj le 11 avril 2020

« PERBEN II » : ça peut VOUS arriver


Un frisson glacé le long de l’échine, une odeur insidieuse... on y est presque...
Vous aimez votre femme et votre femme vous aime. Vous avez eu
ensemble trois enfants que vous adorez : Julie, Julien et Juliette...

Julien vient d’avoir 16 ans. C’est un garçon rieur, heureux de vivre, un peu turbulent au lycée, mais que les professeurs trouvent sympathique.

Parmi ses nombreux amis, deux sont pour lui comme des frères : Arnaud et Arthur. Ils forment à eux trois une inséparable bande de joyeux drilles, connue dans tout le lycée. Vous ignorez seulement que, le mois dernier, Julien a connu une grave déconvenue : le professeur de biologie, Monsieur Bubard, lui a attribué un 2/20 pour « copie trop sale ». Votre fils l’a ressenti comme une profonde injustice, ainsi qu’Arnaud et Arthur.

Ensemble, après avoir longuement réfléchi, ils ont trouvé le moyen de venger Julien. Monsieur Bubard se rend chaque jour au lycée en bicyclette. Il range son vélo dans un local non fermé mais surveillé depuis la grille d’entrée par Paul, gardien depuis vingt ans, dont les siestes sont légendaires. Une semaine après la fameuse copie, notre trio passe à l’action : Arthur fait le guet pendant que Julien et Arnaud s’emparent du vélo. Ils escaladent ensuite la grille pour le cacher dans le jardin de Roselyne Lajoue, retraitée.

L’exploit fait grand bruit. Julien et ses acolytes, galvanisés, décident de ne pas en rester là , le local regorgeant d’objets de convoitise : deux jours plus tard, ils réitèrent avec la trottinette électrique du professeur de mathématique et la bicyclette rose de Madame le Proviseur. Celle-ci, furieuse, mène alors l’enquête, en toute discrétion. Ses soupçons se dirigent rapidement vers votre fils et ses amis. Plainte est déposée pour vol. Vol en bande organisée, précise la police : la loi Perben II peut s’appliquer.

Trois jours plus tard, un jeune homme souriant aborde votre fils à la sortie du lycée. Il lui montre une camionnette spécialement aménagée et lui propose, en cas de besoin, de transporter gratuitement tout engin à deux-roues. Julien est étonné. Le jeune homme le rassure, l’invite à prendre un café et lui offre finalement un téléphone portable : « appelle-moi ! ». Cet homme est un policier, habilité par Perben II (nouvel article 706-81 du Code de procédure pénale) à se faire passer pour complice ou receleur des infractions. Il n’a pas droit d’inciter au délit. Mais il peut mettre à la disposition des personnes suspectées tous les moyens dont elles rêvent (juridiques, financiers, transport, hébergement, télécommunication : nouvel article 706-82). Votre fils, très excité, appelle de son téléphone tout neuf ses camarades. Le lendemain, décision est prise de profiter de l’aubaine : on demande au jeune homme de déposer le butin près du stade de foot, histoire de prolonger le plaisir.

Le lundi suivant, à 18 heures, Julien n’est pas rentré à la maison. Votre femme s’inquiète, Julie et Juliette le cherchent. 18h30 : le téléphone sonne. C’est la police. Julien est au commissariat en garde à vue. Comment ? Qu’a-t-il fait ? Vous ne dormez pas de la nuit, vous espérez à chaque heure que votre fils va être relâché, vous voulez comprendre. Le lendemain, un avocat de permanence vous apprend que Julien va bien, mais il ne peut vous en dire plus. Une première journée passe, puis une deuxième nuit. C’est un cauchemar. On se réveillera. Mais mercredi matin, l’avocat vous avoue que, depuis la loi Perben II, la garde à vue peut durer 96 heures, même pour les mineurs (nouvel article 706-88 du Code de procédure pénale).

Vous imaginez votre Julien au commissariat pendant quatre jours et quatre nuits, interrogé le jour et réveillé la nuit. Mercredi, l’attente devient infernale. A 20 heures, quatre hommes sonnent à votre porte.
Ce sont des agents EDF qui viennent relever les compteurs. En un clin d’oeil, les voilà dispersés dans tout l’appartement, l’un d’entre eux restant en votre compagnie pour vous occuper. Ils repartent cinq minutes plus tard, sans vous avoir fait signer le moindre bon. Vous êtes étonné, mais vous avez d’autres préoccupations en ce moment.
Pourtant, ces hommes viennent d’installer chez vous suffisamment de micros et de caméras pour tout connaître de votre vie de couple et des discussions entre Julie et Juliette. Ils en ont le droit depuis Perben II (nouvel article 706-97 du Code de procédure pénal). De toutes façons, vous étiez déjà sur écoute (nouvel article 706-96).
Les journées de jeudi et de vendredi sont les plus atroces de votre vie. Julie et Juliette ne sortent pas de leurs lits. L’école appelle, vous lui raccrochez au nez. Votre femme passe de l’hystérie à l’hébétement. Vendredi 17h15 : Julien sort enfin de garde à vue mais il est, dans la foulée, déféré devant le juge d’instrucion qui met Julien en examen, les faits étant avérés. Il demande à son collègue le juge des libertés et de la détention de placer votre fils en détention provisoire. Le magistrat accepte : il entend, lui aussi, lutter efficacement contre l’insécurité en ville. Julien est en prison, pour plusieurs mois peut-être. Vos filles s’enferment dans un profond mutisme.

Mardi, trois heures du matin. Voilà une semaine que vous ne vivez plus. Vous êtes endormi sur le canapé, une bouteille de blanc à la main. Une sonnerie stridente vous réveille soudain : vous vous traînez jusqu’à la porte d’entrée que vous ouvrez. Cinq policiers s’engouffrent chez vous. Pendant deux heures, ils retournent l’appartement, crèvent les coussins, vident les tiroirs. Cette perquisition en pleine nuit (nouvel article 706-91) a du bon : elle permet enfin à la famille de se retrouver, vos filles et votre femme s’étant blotties autour de vous dans le canapé. C’est ainsi entouré que vous finissez la bouteille de blanc.

Le lendemain, décision est prise d’envoyer Julie et Juliette, pour les protéger, chez leur grand-mère maternelle. Ce sera mieux pour tout le monde. Votre belle-mère, ravie d’être utile, vient les chercher chez vous. Elle se permet une première remarque sur l’état de l’appartement. Vous réussissez à vous contenir. Elle jacasse ensuite un quart d’heure sur le problème de la délinquance. Vous sentez que vous allez sortir de vos gonds. Pour finir, elle vous lance une remarque acerbe sur l’éducation de Julien. C’en est trop : vous la giflez. Or vous étiez filmé. Lorsque votre beau-père vient porter plainte, les policiers sont déjà au courant. A votre tour, vous êtes convoqué au commissariat, placé en garde à vue, puis mis en examen pour violences sur personne vulnérable. Vous encourez trois ans d’emprisonnement. C’est le procureur qui vous convoque à la fin de la garde à vue. Il est indigné par ce que vous avez fait et ne s’étonne pas que votre fils ait mal tourné. Il vous demande si vous reconnaissez votre culpabilité, une cassette vidéo à la main. Vous répondez oui. Il vous propose alors de prononcer lui-même votre condamnation puisque vous ne contestez pas les faits. C’est nouveau (Perben II, article 61), mais c’est efficace. Si vous refusez, vous serez jugé par le tribunal, dans longtemps et avec les aléas qu’on connaît. Un avocat, penaud, vous conseille d’accepter. Le procureur vous condamne à 4 mois d’emprisonnement, non sans préciser que c’est une peine bien indulgente au vu des faits odieux que vous avez commis. Durant le trajet vers la prison, menotté dans la fourgonnette, vous vous interdisez de penser à votre femme, à Julie, à Juliette. Vous vous demandez simplement si vous apercevrez de votre cellule celle de Julien. Si vous pourrez lui faire coucou. Et, tout à coup, vous vous souvenez d’un entrefilet dans le journal, en plein hiver 2004, sur des avocats qui s’inquiétaient de l’entrée en vigueur de la loi Perben II. Vous n’aviez, à l’époque, pas compris pourquoi.


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