Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
ACTUALITÉS DROITS SOCIAUX - SANTÉ
Publié le 10 mai 2007 | Maj le 13 avril 2020

Travailleurs du social et précaires : vers où pointe la boussole ?


Alors à l’état de projet, la loi sur la prévention de la délinquance a suscité un phénomène plutôt rare : une mobilisation collective de travailleurs des secteurs sociaux, sanitaires et psy, avec un collectif national unitaire de résistance à la délation... La promulgation de la loi n’a pas éteint la mobilisation, qui se poursuit par un appel à la résistance reproduit plus bas... Mais est-ce bien suffisant, du point de vue de ceux qui sont déjà passés par le bureau d’une assistante sociale ou d’un psychologue ?

Secret professionnel partagé et diffusion d’informations

La loi de prévention de la délinquance, et celle sur la protection de l’enfance proposent d’instaurer un « secret professionnel partagé » entre les acteurs du champ social (travailleurs sociaux, éducateurs, psychologues mais aussi l’école ou les acteurs de la formation et de l’insertion) et les maires. Evidemment, cela concerne tous ceux, et particulièrement les familles et les enfants, qui vivent dans la précarité, qui ont ce qu’on appelle des « difficultés sociales » (ce qui est assez vague).

Il faut dire tout de suite que ce partage des informations, souvent données par les précaires lors d’entretiens, existe déjà à de nombreux niveaux. Le dossier scolaire d’un enfant le suivra toute sa scolarité, même s’il change d’établissement. Si cet enfant « pose problème » (quels problèmes ? à qui les pose-t-il et pourquoi ?), il pourra être suivi par un service psychologique ou par un éducateur, il passera éventuellement devant un juge. Des réunions pourront être organisées entre les enseignants, les services sociaux, les psychologues et/ou éducateurs... Que diront les uns et les autres de ce qu’ils ont appris ?

De même, les informations circulent sur un Rmiste, entre le service insertion du département, une éventuelle association qui le suivrait, l’ANPE s’il y est inscrit, la CAF, Adecco ou Manpower si on l’y envoie pour une prestation d’insertion professionnelle… Les mairies sont informés à chaque fois qu’un habitant de la commune fait une demande de RMI (ce sont d’ailleurs souvent les CCAS qui sont chargés d’instruire la demande). Des informations sont échangées à chaque fois que le dossier d’un précaire est transmis à une commission, qu’il s’agisse d’une demande d’aide financière ou de l’attribution d’un logement social.

Cela pose un problème concret aux précaires : non seulement on a intérêt à avoir bonne mémoire, se souvenir de ce qu’on a dit aux uns et autres, et à ne pas (trop) se contredire, mais surtout mieux vaut être en bons termes avec le travailleur social qui nous suit, car sa manière de présenter un dossier, un parcours, d’appuyer ou non une demande, peut faire pencher la balance, même s’il ne décide pas tout, tout seul. Difficile aussi de faire des demandes auprès de différents services (par exemple les services sociaux du conseil général et ceux de la mairie).

Travailleurs sociaux : et s’il n’y avait pas la loi de prévention de la délinquance ?

On comprend donc mal pourquoi, alors que les occasions de diffusion des informations sont d’ores et déjà nombreuses, que des politiques de contrainte et de contrôle s’appliquent depuis des années ou quelques mois, la mobilisation des acteurs du champ social s’est focalisée à ce point uniquement sur ce qui était à l’époque un projet de loi, grave certes, mais amené par d’autres évolutions des politiques sociales.
- Quand les bailleurs sociaux engagent des procédures d’expulsion pour quelques centaines d’euros de dettes, suite à un accord avec la CAF qui leur permet de continuer à percevoir les APL, alors que l’accès au Fonds de Solidarité Logement (FSL) est restrictif quand on a des dettes
- quand un Conseil Général met la pression sur les Rmistes pour l’insertion professionnelle, subventionne des boîtes d’intérim ou d’autres structures privées pour le suivi et le retour à l’emploi, met en oeuvre les contrats aidés du plan Borloo, et que les travailleurs sociaux appliquent cette politique, alors que dans le même temps, il n’y a pas grand chose pour l’accès au logement ou les aides financières (voir l’exemple des Yvelines)
http://www.yvelines-en-luttes.info/...
- quand des responsables d’hébergement ou des directeurs d’établissement scolaires livrent à la police la liste des étrangers hébergés ou scolarisés
- quand des établissements pénitentaires pour mineurs se construisent (ouverture prochaine pour celui de Porcheville dans le 78),
http://www.yvelines-en-luttes.info/...
- quand le boulot des conseillers d’orientation-psychologue se résumera bientôt, grâce à la décentralisation, à faire de l’adaptation emploi-formation (dans la région, les employeurs du bâtiment ont besoin de main d’oeuvre, envoyez-donc les jeunes en apprentissage dans ce secteur) ou à faire passer des tests psychologiques et de QI à la chaîne
- quand l’accompagnement social, voire le système de bail glissant se développe comme condition d’accès au logement social, pour les rares précaires qui ont la chance de se voir proposer un HLM, avec obligation de tout déballer sur ses conditions de vie, sa famille, d’accepter des visites à domicile...
- Quand les services sociaux participent déjà aux équipes de réussite éducative là où elles existent.
http://yvelines-en-luttes.info/spip...
... il y a de quoi se mettre en lutte. Et pas que pour les précaires qui subissent ces politiques, mais aussi pour ceux qu’on charge de les appliquer.

Que proposent les collectifs anti-délation ?

Sans doute les participants à ces collectifs conviendront que la mobilisation est loin d’être suffisante. Ils seront peut-être moins d’accord si on dit que c’est en partie dû aux manques de luttes sur les politiques qui existent déjà, à la pression qu’ils ont laissé s’installer sur eux-mêmes pour « faire baisser les chiffres », faire des économies, sur des tensions grandissantes entre « usagers » et salariés des administrations et structures du champ sociale, et pas seulement à cause de la colère des usagers, mais aussi des frustrations des salariés et d’une vision pas toujours bienveillante des chômeurs, des pauvres, des étrangers.

Quasi inexistante avant le vote de la loi de prévention de la délinquance, la nécessité d’informer les personnes reçue est seulement évoquée. Eh oui, pas facile de se placer du même côté que des précaires auxquels un travailleur social ou un éducateur cherche plutôt à ne pas s’identifier, quand il ne reprend pas à son compte les clichés du « fraudeur-profiteur » et des parents qui n’ont pas d’autorité et ne savent pas élever leurs gamins. Pas facile de s’impliquer personnellement quand des inquiétudes bien légitimes poussent plutôt à faire l’autruche, pas facile de remettre en cause ses pratiques et le vernis de bonne conscience qu’on appliquait à son boulot. C’est tellement mieux de se dire que ce serait mille fois pire si on était sans papier ou SDF, mais que heureusement, ce n’est pas le cas.

Les participants aux collectifs anti-délation semblent avoir besoin de se rassurer sur leur éventuelle résistance : ils ne risquent pas de sanctions pénales en cas de refus de transmettre des informations, le texte de loi mentionnant la possibilité (et non l’obligation) pour les travailleurs sociaux de transmettre des infos aux maires. Mais beaucoup soulignent le besoin d’être protégés par un texte du genre charte déontologique.

Alors que les précaires qui fréquentent les divers services sociaux risquent l’expulsion, le placement des gamins, la suspension de RMI, la radiation ANPE ou l’emploi forcé, sans compter le fait d’être montré du doigt, par la presse, certains discours politiques, mais aussi des travailleurs de la CAF, des services sociaux ou des structures d’insertion...

Pressions précaires

Ceux qui ont déjà eu ne serait-ce qu’un rendez-vous chez un travailleur social reconnaîtront que bien souvent les rapports sont difficiles.

Ne serait-ce que parce que le travailleur social, même quand ce n’est pas lui ou pas lui seul qui prend les décisions, a un certain pouvoir : accorder un rendez-vous en urgence ou non, faire le dossier pour une aide financière ou pas, se servir d’informations qui ont été données (vous avez dit que votre grand-mère vous donnait un peu d’argent tous les mois ou que vous bossiez de temps en temps au noir ? on pourrait vous le ressortir dans un contrôle CAF ou une commission de suspension RMI...), prendre le partie de l’institution plutôt que le nôtre (oui vous êtes capable de payer votre loyer, mais quand même ce serait mieux d’avoir un suivi spécifique avant une attribution de HLM) ou ne pas prendre partie (ah bon on vous a refusé une aide pour payer votre facture parce que vous n’avez pas choisi la mensualisation ? Ecrivez au responsable), mentionner ou non certaines aides ou possibilités...

Ce n’est pas très différent s’il s’agit d’un formateur dans une association qui travaille pour le Conseil Général ou l’ANPE, d’un éducateur pour les enfants ou d’un psychologue...

Alors du coup, ça fait longtemps que des précaires, seuls, à quelques uns ou en collectif, s’organisent pour défendre leurs droits, faire respecter leurs projets. La pression des précaires, c’est d’ailleurs un élément à prendre en compte dans les mobilisations de travailleurs sociaux. Quand ils en ont assez de répéter qu’ils ne peuvent rien faire sur tel ou tel problème, ou de se faire prendre la tête par des « usagers », ils ont un peu plus tendance à se mobiliser face à leur direction. A moins qu’ils ne portent plus facilement plainte...

Encore faut-il que leurs revendications soient adaptés à la réalité des premiers concernés : ainsi face à la pression des mal-logés, des travailleurs sociaux du 93 ont créé il y a quelques années un collectif pour demander... plus de places d’hébergement. Pourquoi pas de vrais logements, surtout dans un département où le Conseil Général est à la tête d’un ODHLM ?

Quelles perspectives pour les travailleurs du secteur social ?

Certains ont déjà fait leur choix, d’autres aimeraient bien ne pas avoir à en faire.

Beaucoup de psychologues, de formateurs, de conseillers d’orientations, d’assistantes sociales, d’agents ANPE se posent des questions sur leur boulot. Sans forcément voir qu’il se passe très exactement la même chose dans le métier d’à côté, sans savoir comment traduire en actes leur malaise. Combien d’arrêt maladie parce qu’on n’en peut plus ? Combien de démissions parce qu’il n’y a pas eu (assez) de solidarité collective et de résistance ?

Quelles différences reste-t-il entre les précaires usagers et les travailleurs du champ social ? Combien d’emplois des secteurs social/emploi/prévention sont aujourd’hui occupés par des Rmistes ou des chômeurs de longue durée, avec des contrats précaires, mal payés et sans formation ? Combien de contrats d’avenir à l’accueil des ANPE ? Combien de personnes en chèque emploi service pour s’occuper de personnes âgées ?
http://www.yvelines-en-luttes.info/...
Combien d’emplois précaires à l’Education Nationale, dans des associations d’insertion ou des structures d’hébergement ? Les uns et les autres subissent, peut-être pas avec la même intensité ni les mêmes effets, la décentralisation, la logique de rentabilité et la privatisation de ces secteurs ?

Ne pas agir, c’est, d’une autre manière, vivre la même chose que ce qu’on fait ou fera subir aux précaires : un choix de plus en plus restreint dans son boulot et un contrôle de plus en plus serré sur ses actes, le risque d’être mal vu ou sanctionné si on n’en fait pas assez, un boulot qui correspond de moins en moins à ce qu’on a envie, individuellement ou pour la société, la division et l’isolement...
- Précaires fréquentant l’ANPE, les référents RMI, l’Assedic ou les services de retour à l’emploi,
- travailleurs sociaux, éducateurs, psychologues, etc...,
- nous attendons vos témoignages, vos réactions, vos analyses
http://www.yvelines-en-luttes.info/...


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