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COLOMBIE  
Publié le 27 novembre 2015 | Maj le 13 décembre 2020

[Colombie] Les avancées des accords de la Havane et la répression du mouvement social : deux volets d’une même stratégie gouvernementale


Les accords de la Havane avancent parallèlement à une série d’assassinats de leaders communautaires, une répression de manifestations et à une augmentation de menaces à l’encontre de défenseurEs des droits humains. *NdT : en Colombie on distingue les défenseurs des droits humains venant directement des communautés qui luttent contre les multinationales, les paramilitaires et/ou l’Etat... des humanitaires.
L’Etat, au lieu d’apporter des garanties énoncées devient au contraire un facteur de violence contre le mouvement social. Vu que les causes du conflit restent irrésolues, dès lors peut-on parler de postconflit ou plutôt de changement de dynamique d’un conflit qui va perdurer ?

(traduction d’un article de Colombia Informa paru le 23 nov)

Dans les quinze derniers jours, ont été enregistrés au moins les assassinats, les répressions et les menaces suivantes sur les mouvements sociaux :

Daniel Abri, de la municipalité de Trinidad, dans le Casanare (département plus foncé sur la première carte) fut assassiné par trois coups de feu. Reconnu pour sa lutte de défense de l’environnement contre les multinationales extractivistes, il avait dénoncé le rôle des compagnies pétrolières dans la sécheresse du Casanare. Il était membre du Mouvement Social Politique de Masses du Centre-Est et du Congreso de los Pueblos (guévariste).

*POUR PLUS D’INFOS SUR LES PETROLIERES, LA SECHERESSE ET LES PARAMILITAIRES DU CASANARE VOIR : « Au-delà de la sécheresse du Casanare », 20 min, juin 2014

https://vimeo.com/103205884

et aller dans CC en bas de l’écran pour mettre les sous-titres.

Ce jeudi 19 novembre, dans le Cauca (en rouge sur la carte ci-dessous), un paysan faisant partie de Marcha Patriótica (NdT : mouvement social non armé marxiste-léniniste) fut assassiné et 7 autres personnes reçurent des impacts de balle par l’armée régulière de Colombie. Accompagnée des flics, l’armée fit violemment irruption durant une manifestation qui portait sur l’erradication compulsive de cultures illicites. Les tirs contre les paysanNEs s’effectuèrent depuis des hélicoptères de l’armée faisant partie de l’avancée de 2000 militaires et agents erradicateurs. Prenant de surprise des habitations, lorsque les communautés réagissèrent sans armes, l’armée répondit par les tirs mortels.

VIDEO ATTESTANT DES TIRS DE L’ARMEE

Mercredi dernier, fut assassiné Ignacio Ernesto Males Navia, secrétaire du conseil Municipal et référent du mouvement paysan de la municipalité de Almaguer dans le Cauca. Un mois auparavant, le fils d’un paysan aussi nouvellement élu au conseil municipal, fut assassiné. « Depuis que les mouvements autochtone et paysan ont décidé de se présenter aux élections locales, les menaces sont plus fortes », explique-t-on dans le Cauca.

De plus, l’ACIN (Association des Cabildos des autochtones du Nord du Cauca) dénonce une mise à prix des assassinats des leaders et des ancienNEs de Corinto où depuis le 16 décembre 2014 a lieu une libération de la terre. Et en français pour plus d’infos aller dans fr. squat. net solidarité internationale avec les nasa.

Une marche sur Bogotá de 2000 autochtones a lieu en ce moment même pour appeler au rassemblement et à la lutte les différents mouvements sociaux.

Entre le vendredi 13 et le lundi 16 novembre des hommes encapuchés attaquèrent avec des armes lourdes la garde indigène de la réserve de Munchique Los Tigres, dans le Nord du Cauca. C’est là que se trouve le centre d’harmonisation Gualanday où le leader autochtone Feliciano Valencia doit purger une peine établie par l’Etat colombien (16 ans) au mépris de la justice autochtone autonome. Feliciano a pu sortir de prison étatique début novembre à la condition qu’il reste dans ce lieu. Feliciano avait été relaxé en première instance puis capturé et directement incarcéré il y a quelques mois pour avoir été le porte-parole lors de la Minga* de 2008 du mouvement autochtone soit-disant pour séquestration et torture.
Explication : Un infiltré militaire se faisant passer pour un autochtone avait été surpris par la garde indigène et puni par des anciens (petits coups de fouet symboliques et harmonisation spirituelle) puis relâché. Le major infiltré avait pour mission pour le compte de l’Etat de déposer tenues et explosifs sur le site pour montrer un lien entre les FARC et les autochtones pour que l’Etat puisse taxer de « terroristes » les communautés et légitimer une répression militarisée.

(*MINGA signifie « travail communautaire » mais désigne aussi une grande marche sociale communautaire rassemblant des milliers de personnes.)
(*NdT sur la minga de 2008 : En octobre 2008, des communautés se sont rassemblées à la Maria Piendamo dans le cauca, le CRIC (Conseil Régional des Indiens du Cauca) ayant convoqué le gouvernement en assemblée pour dénoncer les accords non respectés. Ce dernier a répondu par la répression : 102 blessés et deux morts, provoquant alors une marche sur Bogotá pour entrer en relation avec les exploitéEs du pays et insuffler une idée d’auto-gouvernement.
Les 5 points de la Minga portent sur le refus du Traité de Libre Commerce et des réformes constitutionnelles servant aux intérêts économiques des transnationales mais aussi sur la dénonciation de la guerre comme stratégie de spoliation des terres et la construction d’un agenda des peuples pour que « l’institution illégitime au service du capital transnational soit remplacé par un gouvernement populaire ».)

Le lundi 16 novembre, la secrétaire technique du Mouvement des Victimes de Crimes d’Etat -Movice- de Caldas, la defenseure des droits humains Marà­a Cardona Mejà­a, fut menacée dans la rue par une personne se disant ancien militaire. quand il passa à côté d’elle, il dit dans son téléphone portable assez fort pour qu’elle l’entende : « Quand j’étais militaire, les massacres, c’est ce qu’on devait faire. Et c’est ce qu’on va faire à la petite aux cheveux colorés (terme péjoratif) que j’ai à côté de moi et à son chef ». Le « chef » fait référence au membre du MOVICE Darà­o Ecsehomo Dà­az ayant déjà été menacé.

Entre le 12 et le 14 novembre, de vieux terrains squattés, Las Orquà­deas à Cali et Moravia sur Medellà­n furent investis par les brigades anti-émeutes -ESMAD-. Dans les deux cas, sur ordre des maires respectifs, l’objectif fut d’expulser des familles habitant sur les lieux depuis de nombreuses années. Il a été dénoncé des brutalités et des violations de droits humains concernant des mineurEs, des femmes enceintes et des personnes âgées.

Le 12 novembre, le paysan référent Marcha Patriótica du département de Córdoba, Arnobis Zapata, reçut une menace en texto : « Arrête de faire ces putains de dénonciation contre l’armée. C’est la dernière chance qu’on te donne de fermer cette bouche de fils de pute de communiste de merde. On sait très bien que c’est toi qui en es à l’origine. Si tu continues comme ça, on te plombe la gueule. Encore une dénonciation contre nous et tu vas crever sale chien ».

Au moins 6 leaders communautaires de Alto Baudó, dans le Chocó (en rouge sur la carte suivante) dénoncèrent des menaces envoyées pour qu’illes renoncent à la Minga communautaire* qu’illes organisaient.

Des témoignages rapportent que le maire aurait averti « Ne participez pas a la Minga sinon les paramilitaires vont vous tuer ».

LES ACCORDS DE LA HAVANE (AVEC LES Forces Armées Révolutionnaires de Colombie -FARC-) ET UN COCKTAIL EXPLOSIF EN COLOMBIE : LAISSER FAIRE LE PARAMILITARISME ET ENTERRER LES DENONCIATIONS FAITES PAR LE MOUVEMENT SOCIAL

La bonne nouvelle de ces derniers jours arrive de La Habana avec l’annonce de la libération de 30 guérilleros incarcérés souffrant de graves maladies, un geste du gouvernement pour « construire une confiance ».
Iván Márquez (NdT : Farc survivant du génocide politique de l’UNION PATRIOTIQUE qui eut lieu après le premier accord des FARC avec le président Betancur début années 80 avec environ 6000 personnes assassinées),

chef de la délégation sur la paix des Farc, affirma récemment que le délai de 6 mois accordés le 23 septembre dernier pourrait être à nouveau étiré, bien que les connaisseurs des négociations en cours certifient que la signature d’un accord sera un fait.
Mais

Pendant qu’à La Havane la paix est négociée, en Colombie les mouvements sociaux sont victimes de la guerre

explique le Sommet agraire ethnique et populaire.
(NdT : La Cumbre ou « sommet » est la conjonction de différentes tendances de mouvements sociaux de paysanNEs, d’afrodescendentEs et d’autochtones, dont le rassemblement est né lors des gros blocages de août-septembre 2013. La Cumbre a d’ailleurs annoncé un blocage pour mars 2016.)
« Au sein du territoire national se vivent les plus violents assauts de part la force publique : les anti-émeutes, la police nationale et l’armée, avec des bombardements, ou des mitrailleuses, des fumigations (ndt : largages aériens de toxiques ayant des conséquences désastreuses sur les communautés d’un point de vue économique ou sanitaire) et des faux positifs* » avaient expliqué des membres du mouvement social après l’assassinat par des paramilitaires de Carlos Pedraza et des répressions sur le mouvement de libération de la terre des autochtones Nasa du Cauca.

(*Les Faux Positifs sont les personnes maquillées en guérillerxs pour faire du chiffre. En bas de la hiérarchie, les soldats ramenant des faux guérillerxs ont eu droit à des primes et des permissions, et en haut, les généraux se targuaient d’accomplir leur mission et de justifier ainsi les milliards investis par les USA dans les deux Plans Colombie successifs. Des milliers de personnes ont ainsi été tuées, dont de nombreux indigents à qui l’on promettait du travail avant de les assassiner. Des trafiquants ont ainsi profité de vendre leur « marchandise » aux militaires pour environ 150 dollars par tête.)

Dès lors, ce qui suivit confirma la tendance : détentions arbitraires de 13 jeunes du Congreso de los Pueblos et de Colombia Informa de Bogotá, l’arrestation du professeur d’université Miguel à ngel Beltrán, et plus récemment celle de Feliciano Valencia. (voir autres articles Colombie)
Qu’il y a-t-il derrière cette violence constante contre le mouvement social au même moment où se consolide le discours officiel de la « paix » ?
Fabián Laverde de l’organisation colombienne COS-PACC explique : « d’une part, le gouvernement nie en bloc l’existence du paramilitarisme, d’autre part, il y a une négligence absolue des dénonciations que nous faisons depuis le mouvement social quant aux menaces et aux actions concrètes portées à l’encontre de ces territoires. » video de Colombia Informa de 4 min soustitrée Le catatumbo contre le paramilitarisme

POSTCONFLIT OU SIMPLE CHANGEMENT DE MODE OPERATOIRE DU CONFLIT ?
L’idée de postconflit est un pilier du discours présidentiel et des médias hégémoniques.
« Il reste juste à attendre la paix du postconflit » avait assuré le président Santos un an auparavant devant la Cumbre Agraria (le rassemblement des mouvements sociaux expliqué plus haut).
Les porte-parole qui se firent convoquer à la « paix » sont celleux qui dénoncent l’escalade répressive de part les forces publiques et le paramilitarisme et de la connivence gouvernementale.
« Parler de postconflit est mensonger » analysa l’historien Renán Vega Cantor, donnant une autre interprétation des négociations avec l’insurrection mais aussi de la dynamique du mouvement social.

Qu’il y ait un accord entre le gouvernement et les Farc et éventuellement avec l’ELN, ne signifie pas que le conflit va disparaître comme le chantent les médias dominants. Mais regardez vous-mêmes la perversité qu’il y a lorsqu’il se dit que le conflit en Colombie est du aux guérilleros belliqueux.
Et que si les guérillas disparaissent alors vont disparaître automatiquement le mouvement social, les manifestations. C’est une idiotie

affirma Renán Vega Cantor, en outre investigateur à la Commission Historique du Conflit et de ses Victimes.
Cependant, le président santos ne parait prêter la moindre attention à cette demande du mouvement social. Mais au contraire, dans la répression par la force publique, la mort, et le « laisser-faire » du paramilitarisme ainsi que la mésattention des dénonciations du mouvement social, il semble jouer un rôle primordial.

P.-S.

P.-S.
Traduction d’un article paru le 23/11 sur Colombia Informa, média alternatif sur internet. Des notes ont été ajoutées pour contextualiser. Pour plus d’infos : voir la brochure : Textes et paroles de ColombienNEs dans infokiosques.net et pour toute question : bernardinettigna chez gmail.com


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