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Publié le 8 mars 2011 | Maj le 6 août 2018

[info droits des étrangers] Dublin II : Vers un recours suspensif ?


C’est par un arrêt de Grande Chambre MSS contre Belgique et Grèce en date du 21 janvier 2011 que la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la Grèce et la Belgique pour violation des articles 3 et 13.

La Grande Chambre avait tenu une audience le 1er septembre 2010 avec un nombre très important de parties en plus du requérant, MSS, demandeur d’asile afghan, le Haut commissaire aux Droits de l’Homme (première historique), le HCR ont été autorisés à se porter tiers intervenants à la procédure orale. Des observations écrites ont été reçues de ces parties ainsi que du Centre AIRE (Centre for Advice on Individual Rights in Europe), d’Amnesty International et de Greek Helsinki Monitor. Aux cotés des Etats, les Pays-Bas et le Royaume-Uni sont également intervenus.

Dans un arrêt de 80 pages (122 en comptant les opinions), fournissant un luxe de détail sur la procédure en Grèce et en Belgique et en suivant pas à pas l’odyssée de ce demandeur pour lequel elle n’avait pas demandé en 2009 une mesure de suspension en urgence sur la base de l’article 39 (à l’inverse de près de 900 requérants notamment en France), la Cour condamne doublement la Grèce .

  • sur la base de l’article 3 pour avoir détenu le requérant dans un centre de rétention situé à l’aéroport, une première fois à son arrivée de Belgique puis de nouveau lorsqu’il a tenté de fuir le pays via la frontière bulgare. Elément intéressant, l’absence de conditions matérielles d’accueil contraires à la directive européenne sur l’accueil est aussi sanctionnée sur ce motif.
  • Sur la base de l’article 13 car la procédure d’asile grec en ne prévoyant pas une information adéquate du demandeur sur ses droits et obligations l’empêchant de demander asile puis d’assister à l’entretien et enfin le taux de reconnaissance quasi nul ne lui permet d’exposer ses craintes vis à vis de l’article 3.

Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que la Cour fonde son appréciation sur les manquements de la Grèce vis à vis des trois directives européennes sur l’asile (accueil, qualification et procédures) pour qualifier la violation de la Convention européenne des droits de l’Homme alors que la Cour de justice de l’Union européenne est le juge interprète de ces textes. Sachant que l’Union européenne, dotée d’une personnalité depuis le traité de Lisbonne, est en train de négocier son adhésion à la Convention et qu’elle s’est dotée d’une charte des droits fondamentaux, qui reprend de nombreux éléments de la convention et de ses protocoles, cela promet un dialogue intéressant entre ces juridictions européennes et surtout de nouvelles possibilités de contentieux en droit interne.

La Belgique condamné pour ne pas avoir assuré au requérant un recours effectif.

La condamnation de la Grèce était très attendue, y compris par les autorités qui ne se faisaient guère d’illusion sur leur système d’asile mais la véritable bombe de l’arrêt est la condamnation de la Belgique pour violation de l’article 13 combiné à l’article 3 et qui risque de faire exploser le règlement Dublin

La Cour avait déjà été amenée à juger des affaires liées au règlement. En 2000, dans l’affaire T.I contre Grande Bretagne, elle avait rappelé que l’application du règlement Dublin ne dispensait pas les Etats de vérifier s’il n’y a pas de craintes de traitements contraires à l’article 3 en cas de transfert vers un pays européen mais avait jugé que ce n’était pas le cas en l’espèce. Dans une affaire KRS contre Royaume Uni de 2008, elle avait même considéré que vu les engagements et le niveau de protection des droits de l’Homme dans l’Union, il y avait présomption de respect des obligations par un état membre.

L’arrêt est donc un changement radical car la Cour considère que les Etats ne sont pas obligés de transférer (clause de souveraineté prévue à l’article 3.2 du règlement) et qu’ils doivent prévoir un recours effectif si un demandeur allègue qu’il risque des mauvais traitements dans le pays de renvoi.

En l’espèce, le requérant avait disposé d’un recours en extrême urgence devant la CCE belge qui est de plein droit suspensif. Mais la Cour donne une définition très précise de ce qu’est un recours effectif à ses yeux. Il est exposé de façon claire par le paragraphe 293 de l’arrêt.

compte tenu de l’importance que la Cour attache à l’article 3 et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 demande impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale (Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 448, CEDH 2005 III), un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 (Jabari, précité, § 50) ainsi qu’une célérité particulière (Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, § 136, CEDH 2004 IV, extraits) ; il requiert également que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif (ÄŒonka c. Belgique, no 51564/99, §§ 81-83, CEDH 2002 I ; Gebremedhin [Gaberamadhien], précité, § 66). (Cf.CrEDH, Grande Chambre, 21 janvier 2011, N° M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09 ; §293 ; p.64).

Le recours à la Cour était certes suspensif mais il ne permettait pas un examen attentif et rigoureux et il avait très peu de chances de succès, au vu de la jurisprudence sur les renvois Dublin.

La Cour européenne des droits de l’Homme reconnaît elle-même « qu’il s’agit là d’une évolution qui va dans le sens de l’arrêt ÄŒonka précité (§§ 81-83, confirmé par l’arrêt Gebremedhin précité, §§ 66-67), la Cour rappelle qu’il ressort également de la jurisprudence (paragraphe 293 ci-dessus) que le grief d’une personne selon lequel son renvoi vers un pays tiers l’exposerait à des traitements prohibés par l’article 3 de la Convention doit faire l’objet d’un contrôle attentif et rigoureux et que la conformité avec l’article 13 implique, sous réserve d’une certaine marge d’appréciation des Etats, que l’organe compétent puisse examiner le contenu du grief et offrir le redressement approprié »

C’est un véritable coup de tonnerre pour l’application du règlement Dublin. En effet, celui-ci ne prévoit pas un recours de plein droit suspensif contre les décisions de renvoi. En France, les arrêtés de réadmission ne peuvent pas faire l’objet d’un tel recours et c’est seulement par le référé (suspension ou liberté) que l’on peut arriver, difficilement à faire entendre la voix du demandeur qui allègue des craintes de mauvais traitements dans un autre pays.

Réactions en chaîne

Peu après l’arrêt, plusieurs Etats membres qui avaient déjà décrété une suspension des transferts vers la Grèce, ont annoncé qu’ils allaient mettre en oeuvre la clause de souveraineté et admettre à leur procédure les personnes susceptibles d’un transfert vers la Grèce : c’est le cas de l’Allemagne, de la Belgique, du Danemark, de la Finlande de l’Islande, de la Norvège, des Pays Bas, du Royaume Uni de la Suède, de la Suisse . L’Autriche continue de procéder à un examen individuel pour savoir si elle renvoie les personnes.

Et la France ? la CFDA a demandé la cessation des transferts et l’instauration d’un recours suspensif pour les procédures Dublin II . le ministère a indiqué le 24 janvier 2011 qu’il gelait toutes les procédures vers la Grèce dans l’attente de prendre une décision. Il a fallu attendre le 28 février 2011 pour que Brice Hortefeux, ministre sur le départ, indique, après longuement analysé l’arrêt qu’il a donné instruction aux préfets de suspendre jusqu’à nouvel ordre les transferts vers la Grèce et que les demandeurs soient admis au séjour.

En revanche, il est resté silencieux sur la création d’un recours de plein droit suspensif dans ces procédures.

Vers un recours suspensif dans les procédures Dublin II ?

Mais les juristes combattants pour les droits de l’Homme n’ont pas attendu la réponse du ministre pour passer à l’offensive. Une question prioritaire de constitutionnalité sur l’absence de recours de pllein dans les procédures de réadmission a été soumise au juge de référés du Tribunal administratif de Paris en même temps qu’un référé liberté . Par une ordonnance du 26 janvier 2011, le juge a décidé de la transmettre au Conseil d’Etat qui doit examiner sa éventuelle transmission au Conseil Constitutionnel lors d’une audience le 11 mars où la Cimade et le Gisti seront intervenants volontaires. Le gouvernement considère qu’il n’y a pas besoin d’un recours suspensif car les relations entre Etats-Membres sont fondés sur la confiance mutuelle. ..t..

Entretemps, lors de l’examen du projet de loi en février 2011, le Sénat a adopté un amendement créant un recours suspensif pour les arrêtés de réadmission. La Commission des lois de l’Assemblée nationale a cependant supprimé cette disposition par un amendement du gouvernement qui affirmait qu’un tel recours « serait de nature à déstabiliser gravement le système français d’asile ». Pour rappel, en 2009, environ 5 500 personnes ont fait l’objet d’une procédure Dublin II (vers l’ensemble des pays) et 3040 étaient susceptibles d’être transférées, ce qui n’est qu’une très faible partie des mesures d’éloignement prises chaque année. Il est donc parfaitement possible de mettre en oeuvre ce recours.

La Cimade considère qu’il faut remettre le système d’asile européen sur ses pieds en arrêtant de dénier les besoins de protection des personnes, et en prévoyant un mécanisme leur permettant de demander asile dans le pays de leur choix et où elles ont des liens familiaux ou culturels. Il faut leur assurer des procédures equitables et des conditions d’accueil qui soient conformes à la dignité des personnes. En un mot pour mettre fin à la « migrerrance », il faut regarder les réfugiés à la la lumière de la convention de Genève dont on célèbre le 60e anniversaire et qui conserve sa pertinence.

Gérard Sadik
Coordinateur Commission Nationale asile

P.-S.


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