Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
ANALYSES ET RÉFLEXIONS EXPRESSION - CONTRE-CULTURE / RÉPRESSION - PRISON
Publié le 14 décembre 2008 | Maj le 23 avril 2020

Chroniques carcérales de Jann Marc Rouillan


Une petite introduction au texte de Jann Marc Rouillan pour recontextualiser le personnage Badinter.

Début des années 80, le Parti socialiste a fait sa campagne électorale sur le thème de la rupture avec le capitalisme et le grand changement par la force tranquille. Une fois au pouvoir, les « socialistes » ne sont pas si hostiles que ça envers le capitalisme et les institutions. C’est alors la naissance de la gauche libérale et les grandes désillusions, pour celles et ceux qui en avaient, envers le Mitterrandisme.
Le PS doit impérativement officialiser et concrétiser ses soit disantes divergences avec la droite. Concernant le monde carcéral et les prisonniers, l’abolition de la peine de mort par Guillotine est une des mesures très médiatisée.
Robert Badinter, politicien par excellence, adorait faire de grands discours au pupitre de l’assemblée. Il est alors ministre de la justice, quand il annonce le 30 septembre 1981, ce qu’il appel, l’abolition de la peine de mort. Ses positions sur le sujet sembles très judéo-chrétienne, il refuse la peine de mort car elle est, selon lui : « contraire à l’esprit du christianisme et à l’esprit de la révolution ». Récemment, en septembre dernier, il c’est opposé à la dépénalisation de l’euthanasie car pour lui : « le droit à la vie est le premier des droits de l’homme »..

discours de R. Badinter à l’assemblée

Il y a différentes façons de condamner à mort un prisonnier, on peut lui couper la tête, mais on peut aussi le laisser mourir à petit feu dans une cellule jusqu’à ce qu’il perde la tête au fil des années, jusqu’à ce qu’il perde espoir et se suicide, ou encore l’enfermer au mitard pour 45 jours, ou le taux de suicide est démultiplié, tant les conditions de vie y sont anxiogènes.

cellule du mitard de la prison de Fresnes

La peine de mort peut prendre différentes formes, Robert Badinter le sait, mais rappeler cette nuance ne l’arrange pas vraiment car elle viendrait faire retomber comme un soufflet son effet d’annonce sur l’abolition.

Ne pas parler des autres peines de mort, toutes aussi graves que la Guillotine, c’est quelque part, laisser et maintenir dans l’ombre, les prisonniers et leurs revendications. C’est aussi encrer dans les esprits que notre société est devenue par miracle, un peu moins barbare envers les personnes qu’elle enferme, grâce au discours d’un ministre. C’est aussi, en nous posant comme repères uniques, ces « grands hommes » qui font l’histoire au détriment des luttes et des révoltes des principaux concernés, tenter de nous faire croire que les changements viennent toujours d’en haut et que seule la classe des dirigeants est à même de changer les choses.

Dans le texte qui suit, Jann Marc Rouillan nous en dit un peu plus sur le revers de la médaille des grandes déclarations solennelles de Badinter.

Mario.

Centre pénitentiaire de Lannemezan d’où écrivait Jann Marc Rouillan il y a deux ans et demi :

Le centre pénitentiaire de Lannemezan a reçu ses premiers détenus le 1er octobre 1987. Il s’agit d’une construction récente, programme décennal de construction des années 80, fonctionnant sur le mode de la « gestion déléguée ». L’établissement comporte une partie maison centrale et une partie centre de détention d’une capacité d’accueil de 220 places. Situé à la périphérie de la ville, il est distant de 120 km de Toulouse et 40 km de Tarbes.
Un centre pénitentiaire est un établissement qui comprend au moins deux quartiers à régimes de détention différents (maison d’arrêt, centre de détention et/ou maison centrale).

Jann-Marc Rouillan - chroniques carcérales de juillet 2006 :
Le questionnaire à Badinter,

Lannemezan, juillet 2006,

C’est une fin de matinée comme les autres. Une petite douzaine de prisonniers tournent en rond dans la cour en espérant l’heure du repas. Un brigadier débarque les bras chargés d’enveloppes immaculées. Un brigadier ou un adjudant ? Peut être un sergent chef ? On ne sait plus comment les appeler depuis leur militarisation. Hier, un vieux maton, genre Papa Schultz, en blaguait avec nous : « ces cons, ils vont finir par nous faire défiler le 14 juillet ! » et sur trois pas, il imita le pas de l’oie en vociférant à tue-tête : « ein, zwei ! ein zwei !... ».

D’un geste le brigadier se débarrasse de son fardeau postal entre les mains de Txistor, avec consigne de mettre « ça » à disposition de la population pénale sur une étagère de la bibliothèque. Deux ou trois gars décachettent à la va-vite leur courrier anonyme. « États généraux de la condition pénitentiaire ». Les infos en ont parlé, bien sur. Maintenant ils feuillettent les douze pages avec avidité. Un premier gars s’insurge à voix haute : « le présent questionnaire est remis à chaque personne incarcérée, en mains propres, par un délégué du médiateur de la république »... « ils nous prennent pour des cons ! Ou qu’il est leur délégué ? ». Son voisin ajoute : « si ça commence comme ça, imagine ce qu’ils vont faire aux enveloppes remises au courrier. Il mime le geste d’une feuille de papier qu’on froisse et qu’on balance à la poubelle. Un deuxième congénère raille avec un rire grinçant : »Style : « que pensez-vous de la milice ? Adressez nous vos réponse par la Kommandantur » !".

Remonté en cellule, j’examine avec attention les questions. Au premier coup d’œil, il ne s’agit que de cocher des cases. Une sorte de geste psychotechnique ! « La situation des droits fondamentaux de la personne emprisonnée est : Très satisfaisante ? Assez satisfaisante ? Assez insatisfaisante ? Très insatisfaisante... Les conditions de vie au quotidien des personnes détenues sont : très satisfaisantes, assez satisfaisantes, etc.? » Facile ! Dix-huit questions, dix-huit fois je coche la case « Très insatisfaisante ». J’appartiens résolument à la catégorie des « Très insatisfaisants ». (Je m’en doutais un peu ! S’ils avaient crée la case « immodérément insatisfaisant », à coup sur j’aurai signé.)

Ne croyez pas que ce soit une généralité dans les lieux de haute punition. Quelques années durant, je fus le voisin d’un caïd marseillais, aujourd’hui trucidé et enterré. Certains jours de fête, il saluait son repas d’un tonitruant : « Ah là ! vraiment ! bravo l’administration pénitentiaire ! » J’imagine qu’il peut y’avoir d’horribles béni-oui-oui capables de se satisfaire de la situation actuelle. « Je suis très satisfait de ma situation d’esclave à l’atelier mais assez satisfait que l’aérateur soit tombé en panne l’an dernier et qu’il ne soit toujours pas réparé. Le chef m’a assuré que la poussière était bonne pour les bronches. » Ou bien : « Je suis assez satisfait de l’intervention des personnels cagoulés, surtout lorsqu’a l’aube ils vous obligent à courir à poil dans les couloirs. L’air frais est vivifiant pour le corps. » Ou encore : « Je suis assez satisfait d’avoir été sanctionné à deux reprises pour avoir osé contacter des journalistes. C’était une bêtise car le service de presse du bureau de monsieur le procureur a très bien expliqué mon affaire et les raisons pour lesquelles je devais rester en prison encore quelques années... »

A y regarder de plus prêt, je m’aperçois que les réponses ne sont pas toujours évidentes. Par exemple, faut-il « harmoniser les règles intérieures ? » Bien sur, mais à condition que cette harmonisation se traduise par une amélioration et non par la perte des avantages obtenus ici ou là de haute lutte.

Le questionnaire ignore aussi avec mépris les principales revendications des mouvements de prisonniers depuis vingt ans. Par exemple, la fermeture des mitards. Inutile d’égrener la litanie de morts « suspectes » dans ces lieux : de Patrick Mirval, à l’époque de l’ouverture de Fleury, jusqu’à , voici quelques mois, au même endroit, la disparition d’un émeutier de banlieues. Si les assassinats, suicides et tabassages touchent tous les punis, pourquoi en exempter seulement les mineurs ?

Il en va de même pour les quartiers d’isolement. La bonne question eut été de demander si nous étions pour leur fermeture ou leur maintien, tout bonnement. Que signifie « limiter la durée du placement à l’isolement » ? Oui ou non l’isolement est-il une torture ? Ses concepteurs ne s’en sont jamais cachés, ils l’ont érigés pour briser l’individu. Alors pourquoi ne proposer que du moins pire ? Cela me rappelle la loi israélienne : l’armée a le droit de torturer, mais seulement avec humanité...

Ce questionnaire de l’observatoire des prisons (OIP) parrainé par Robert Badinter me tire un sourire sardonique. Monsieur « l’honneur de la gauche » est si emblématique de la non résolution des problèmes carcéraux ! A force d’ignorer les vraies questions, il a orienté les principaux désastres d’aujourd’hui.

Je pourrai rappeler, entre autres, que cet ancien ministre a autorisé l’ouverture des quartiers d’isolement, seulement quinze jours seulement après avoir ordonné la fermeture des quartiers de haute sécurité. J’en suis un témoin malheureux puisque, en juillet 1981, j’ai été transféré du QHS d’Auxerre au QI de la Santé- un QHS fraichement repeint et rebaptisé.

Une cour de promenade des quartiers de haute sécurité, d’une superficie de 20 à 30 m2.

Plus grave : en octobre 1981, dans sa volonté de sauver de l’échafaud deux ou trois malchanceux par décennie, il a introduit l’idée d’une peine de substitution. Pouvait-elle signifier autre chose qu’une peine supplémentaire, entre le raccourcissement des « cous-de-jatte » et la perpète utilisée dans des cas exceptionnels ?

A-t-il réfléchi aux conséquences ? Tout c’est rapidement enchainé et les concepts de morts lentes et de guillotine sèche se sont imposés. Les tribunaux ont distribués des perpètes à tout va, entrainant une aspiration vers le haut de l’ensemble des peines. Le phénomène est bien connu. Puis de peur que des « irresponsables » corrigent cette compensation sécuritaire, le législateur inventa les « périodes de sureté ». Depuis 20 ans, le piège broie des milliers de vies. Mille fois pire que les hasards de la veuve Guillotin.

La suppression de la perpétuité n’est pas même évoquée dans le questionnaire. Il est vrai que nous ne sommes que moins d’un millier. Mais les guillotinés n’étaient-ils pas moins nombreux encore ? La perpète synthétise toute l’aberration et l’arbitraire du système. Comment justifier que, pour une même condamnation, un homme puisse être libéré après quarante-deux ans ici et là après quatorze ans et six mois- comme cela a été le cas dernièrement à Lannemezan. Comment justifier juridiquement une telle disparité ?
La disparition de « la peine de substitution » nous permettrait concrètement de repartir d’un bon pied. Nul doute qu’elle entrainerait en sens inverse un tassement des condamnations jusqu’au plus bas de l’échelle.
De plus larges catégories de délits accéderaient alors aux alternatives à l’emprisonnement. Mais à toujours éviter les questions qui fâchent, on ne fait qu’accompagner le mouvement de dégringolade des conditions pénitentiaires orchestrées par la mort lente.


Proposé par mario
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