La photo de couverture intrigue immédiatement : Mais pourquoi une photo de Belmondo sur une moto tirée d’un film avec James Dean ? La réponse survient dans les premières pages. Ce livre, récit des années du M.I.L, est aussi un hommage à Salvador Puig Antich, garrotté par le régime de Franco le 2 mars 1974, garotte vil. « Un peu distrait, c’est un garçon toujours raisonnable, …un gendre idéal… avec de faux-airs de Jean Paul Belmondo. »
A sa première rencontre, Rouillan le voit ainsi : Belmondo dans l’homme de Rio, un aventurier mais au service d’une cause. Salvador appartenait au M.I.L, ce groupe d’ultra-gauche qui sévit à Barcelone entre 1971 et 1973. À l’aube (l’Alba) ces quelques jeunes hommes résistent dans une « situation de combat » proche de la tauromachie, à cause de l’Espagne franquiste mais aussi parce qu’ils lancent un défi à la dictature. Comme les toréros ou les taureaux qui sont seuls dans l’arène, ils lanceront « d’amples passes de capes » après être entrés sur la seule scéne qui vaille, celle de l’histoire : « Déjà nous nous habillons de lumière. »
On attendait impatiemment la sortie du nouveau volet des aventures de Jean Marc Rouillan. Mais c’est sa remise en prison qui est venue d’abord. Après avoir travaillé quelques mois aux éditions Agone à Marseille, des propos mal interprétés et publiés dans l’Express l’ont expédié de nouveau au Baumettes ; les éditeurs reviennent en préambule sur cette affaire et dénoncent la chasse aux exclusivités. Une phrase de Pierre Marcelle résume en soi l’affaire : « …L’ancien terroriste d’Action Directe a été réincarcéré pour des propos qu’il n’a pas tenus »
Puig Antich sera garrotté pour avoir éliminé un agent. Rouillan ne nie pas que c’était un des buts de l’organisation en citant dans des passages tirés en retrait, les taches du guérillero urbain. Au fond, le MIL cherchait à publier des ouvrages pour la jeunesse espagnole et à soutenir les grèves dans ce pays. Pour cela il choisit l’expropriation, c’est-à-dire le braquage de banques pour récolter des fonds.
On entrait à peine masqués d’un foulard. Le plus souvent à visage découvert.
Sortes de Braqueurs Volontaires, les membres du MIL agissaient ainsi pour montrer qu’ils n’étaient pas de voleurs mais des militants politiques.
On revendiquait un engagement total. Ne jamais rien tenter pour échapper aux conséquences de nos actes.
Par contre en cas d’arrestation, chacun était libre de ses choix. Puig Antich avait dit qu’il tirerait. Ce qu’il fit. Rapidement ils deviennent « La bande des Sten » du nom de cette arme dont le chargeur est à position latérale et qui fut l’arme de la résistance européenne durant la seconde guerre mondiale ; eux qui n’ont pas vingt-cinq ans, l’auteur en avoue dix-neuf.
Entre drame et tension, l’auteur puise dans des souvenirs divertissants ; est ce pour ça que Rouillan nous raconte des scènes cocasses comme celle d’une opération de détournement foireuse, où Cricri est pris d’une envie impérieuse de chier.
Pour sûr, ils vont débarquer dès que j’aurais le pantalon sur les chevilles.
Leurs publications résumaient les courants qui traversaient le M.I.L, bandes dessinées situationnistes piquées chez Gotlib, anarchisme et marxisme mêlés et surtout une envie de mettre en pratique ces idées, à l’inverse de ceux qu’ils appellent « L’équipe théorique. Ceux là, ont tout lu et tout compris ».
Ce deuxième volet dont l’intrigue se déroule à Barcelone sous la dictature franquiste est plus abrupt que le précédent traitant de 1968 à Toulouse. Les armes héritées viennent des vieux Espagnols exilés ou de l’E.T.A , pour cette nouvelle Reconquista qu’avait poursuivie Sabaté, dit El Quico, un mythe turbulent chez les anarchistes.
Découpé en sept moments de la journée comme les romans de Kundera, Rouillan raconte avec un chœur, un stasimon reconverti en manuel de guerillero, cette vie clandestine de l’aube jusqu’à la nuit, celle de Metge, Victor ou bien encore Cricri, tous portant des surnoms. « Les clandestins se couchent à l’heure des poules » raconte Rouillan sans jeu de mots avec poulets.
Rouillan pense avoir écrit dans cette aventure, avec ses camarades « La chanson de geste de notre camp, de notre histoire », lui qui reste modeste quant à ses actes et ses convictions. Les gestes, oui, pour la chanson, il lui manque l’air frais de l’extérieur, celui des calanques de Marseille.
Christophe Goby.
Journaliste.
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