Qualité de vie, autonomie
Les jardins, d’abord « ouvriers », aujourd’hui plus souvent dénommés « jardins familiaux » ou « partagés », font partie intégrante du patrimoine et de l’histoire locale. Un retour rapide : les premières parcelles sont cultivées à partir de la fin du 19e siècle, sous l’impulsion des œuvres de l’Église et de sa doctrine de « catholicisme social ». Des entreprises stéphanoises (mines, aciéries…) suivent le mouvement et dans un élan de générosité toute paternaliste, mettent des terrains à disposition de leurs ouvriè-res. Aujourd’hui structurés en associations laïques, ces jardins urbains fonctionnent de la manière suivante : la Ville met à disposition du foncier, les terrains sont ensuite loués aux adhérents des différentes associations (Jardins Volpette, Jardins des « mineurs de Couriot », et associations composant la FAJOF) [1]. D’un jardinage d’autoapprovisionnement dans le passé industriel de la ville, on est passé, pour beaucoup des jardinièr-es, à une pratique qui mêle la recherche d’une alimentation saine, le plaisir d’être au contact de la nature aux portes de la ville, et le loisir de disposer d’un coin de vert à proximité. À ces nouveaux usages reste toutefois bien liée l’opportunité de faire des économies sur le budget alimentaire. Notamment car une bonne part des occupant-es de longue date sont des personnes retraitées des classes populaires, par ailleurs souvent d’origine étrangère, ne lisant parfois pas très bien le français. Et elles sont nombreuses à bien maîtriser des pratiques et des savoirs-faire de jardinage, de petit élevage, de bricolage et d’autoconstruction, appris et transmis au fil des années dans la simplicité. Le jardin et les pratiques qui y sont liées sont au cœur d’une certaine qualité de vie accessible pour toutes et tous dans cette ville.
Du passé, faisons table rase (à la pelleteuse)
La mairie procède depuis quelques années avec des associations concernées à des opérations de relooking visuel, portant le nom très consensuel de « restructuration ». Cette action constitue même l’essentiel de son soutien aux jardins, selon sa documentation officielle sur ce sujet. Les parcelles anciennes des jardins comportent des cabanes faites main, très diverses et modifiées au fil du temps par les jardinièr-es qui s’y succèdent ou les conservent pendant de longues années, avec chacune leur charme et leurs usages personnalisés. Les jardins sous cette forme sont des lieux de liberté, de bricole, où chacun-e occupe à sa guise un petit coin de nature en ville : terrassements fantaisistes, arbres fruitiers ou d’ornement, fleurs, bancs, barbecues de fortune, mini-serres et châssis, buttes, petits poulaillers, clapiers, mares, bref tant de choses a priori exclues des règlements d’utilisation, mais qui cohabitent là dans une joyeuse diversité. Et pour toute « restructuration », il s’agit en fait de l’arrivée aux frais de la Ville d’une minipelle mécanique sur ces terrains, qui détruit tout ce qui a été fait, arrache les végétaux, et de fait laboure et abîme par son passage des sols lentement et patiemment travaillés, améliorés au fil du temps. Des cabanes standardisées sont ensuite installées, tout ceci étant fait en priorité évidemment sur les zones « près des routes », dans un seul impératif d’image, « d’intégration paysagère ». Par-là, les décideurs font preuve de bien peu de considération à l’égard de quelque chose d’immatériel mais très précieux, qu’est l’attachement affectif à sa petite parcelle, aménagée avec soin, avec du temps, du savoir-faire, avec un souci écologique pragmatique. Des jardiniè-res de ces parcelles restructurées nous ont témoigné leur mécontentement, et l’absence de réelle concertation préalable (les décisions ayant été prises dans des réunions sur lesquelles elles n’étaient pas bien informées). De plus, ces opérations de destruction et de lissage coûtent à la Ville 10000€ par jardin [2], une paille (c’est le cas de le dire), alors que Gaël Perdriau s’emploie partout à afficher son souci de faire des économies.
Fabl’aberration
Mais ce n’est pas à la mairie ou à Saint-Étienne Métropole que l’on semble souffrir de contradictions. On y est capable de subventionner grassement une Biennale de Design au budget 2017 de près de 4 millions d’euros [3], où l’on a pu voir s’exposer dans le « IN » plein d’objets à l’utilité douteuse, ou des fablabs et autres hacker spaces, tout ça construit en… tiens, tiens, devine… en palettes et matériaux de récup. Comme les cabanes faites maison par nos jardiniers. Où l’art de mettre des mots compliqués sur de vieilles choses recyclées à son compte (bricolage, débrouille, récup, autoconstruction). Mais quand on y met le discours merveilleux de l’innovation, une dose de #frenchtech, bref une bonne tartine de novlangue bien vendeuse, tout de suite ça passe mieux. Pour les designers, c’est légal et subventionné, avec le soutien aveugle des pouvoirs publics à tout ce qui est neuf, attractif et connecté pour faire, en plus clean, ce que les jardiniers des classes populaires n’ont plus le droit de faire !
Compléments d'info à l'article