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ANALYSES ET RÉFLEXIONS ÉCOLOGIE - NUCLÉAIRE
Publié le 16 novembre 2009 | Maj le 23 avril 2020 | 3 compléments

Décidemment, l’empreinte écologique et le carbone nous font mal à la tête …


Décidément, le propre de l’écologisme est d’avancer caché. Et ce n’est pas les habits neufs du vice-président Bové [1] qui nous montrent le contraire. Le réchauffement climatique vend déjà ses tonnes équivalent-carbone. Et voilà que, le commerce de la fin du monde nous propose encore l’une de ses jolies prestations, l’empreinte écologique [2]. Or, nous prétendons que, sous des atours dissimulés, l’empreinte écologique proclame fondamentalement une même soumission au mécanisme de l’appropriation capitaliste. Il ne s’agit que de rendre la soumission plus durable.

Dans la cacophonie exercée par nos jardiniers de la planète, l’empreinte écologique correspond à un calcul savant de la surface utile pour produire la même chose. La conclusion « heureuse » est que cette surface fictive n’existe pas et que « nous » devrions réduire notre empreinte écologique simplement pour survivre. L’empreinte révèle par conséquent le gaspillage consumériste propre à « nos » sociétés et l’absurdité de « notre mode de vie » de riches. En doutions-nous ? Voyons donc par où le bât blesse.

Sensée se référer à un contre emploi du PIB, l’empreinte écologique prétendait intégrer les données environnementales aux contraintes de l’industrie afin de mesurer la pression exercée sur les écosystèmes par le mode actuel de production capitaliste [3]. Présentée sous la forme d’un calcul scientifique des énergies consommées rapportées à la biomasse disponible, l’empreinte écologique met l’accent sur la productivité des surfaces [4]. Ainsi, dans le travail universitaire original, la bio capacité moyenne de la planète est évaluée à 1,3ha par personne, c’est à dire que chacun consommerait la production de 1.3ha. L’idée économico-écologique de la mesure de l’empreinte devrait ainsi permettre d’adapter l’économie marchande aux limites de la planète et de poursuivre un « développement » continuel.

Néanmoins, de multiples critiques ont été portées sur le système de mesures [5] de l’empreinte écologique. En se référant à des surfaces supposées être bio-équivalentes, le calcul amoncelle des unités bien hétérogènes (agrosystèmes et océans par exemple) et simplifie la valeur marchande des écosystèmes. Bref, le soi-disant algèbre savant n’est en fait qu’un piètre exercice de mathématiques appliquées. Les agents de la force verte en retiennent pourtant l’idée que, faute de mieux, l’empreinte écologique rendrait visible la surexploitation industrielle de nos campagnes, ici rebaptisés écosystèmes pour faire plus joli. De toutes façons, le calcul rabâche toujours que la planète ne constitue finalement qu’une ressource, et une ressource, évidemment, on l’exploite. Simplement, « nous » ne le ferions pas de manière raisonnable.

En protestant contre une exploitation incontrôlée, une surexploitation de la terre, les tenants de l’empreinte écologique réussissent ainsi un premier petit tour de passe-passe en cachant que le capitalisme est essentiellement un mode d’appropriation insupportable. Les commerçants du WWF insistent d’ailleurs sur la finitude du monde pour en contrôler une meilleure vente puisque nous ne « possédons » pas les 3,2 planètes nécessaires pour continuer une telle surexploitation [6]. Qu’on ne s’y trompe pas ! Ni écolo-simplets, ni pathologiquement sceptiques, nombre de ceux qui luttent en écologisme veulent aussi combattre le capitalisme et pas seulement les débordements effarants du système marchand. Mais la lutte écologiste n’a jamais été fondamentalement anti capitaliste. L’écologisme constitue d’abord un couvert qui dissimule les errances de la marchandisation du vieux monde. Ceci n’empêche rien de l’intérêt de la résistance.

Le second non-dit de la mesure de l’empreinte est le postulat de la socio-équivalence de l’exploitation. En tant que consommateur, le prolétaire exercerait une empreinte équivalente à un patron. Le conflit social est évacué au profit d’un simple souci d’économiser le monde [7]. Il n’est alors pas étonnant que l’économie devienne la loi la plus sacrée de l’écologie et même du vieux monde qui poursuit ainsi son pseudo-développement. Ce n’est plus les exploiteurs qui ont engagé une guerre tyrannique en nous exploitant mais « l’humanité entière » qui exerce une pression consumériste contre son propre monde. Comme dans un système religieux, l’économie de la fin du monde organise une individualisation de la faute. Ici, les humains du nord plus « riches » (d’objets pauvres) sont plus vilains que les humains du sud (plus pauvres d’une agriculture vivrière). Si chacun trie bien sa petite poubelle, la planète serait sauvée.

Il est, bien sûr, vrai que le capitalisme fait déborder ses déchets, ce qui est bien dommage pour les bourgeois puisque l’écrémage des détritus permettrait de relancer une économie nouvelle, la marchandisation des ordures. Mais les déchets inondent décidemment beaucoup trop dans notre vie quotidienne. Aussi, les tenants de l’empreinte entament-ils une troisième oraison secrète, la culpabilisation individuelle. L’objectif est ici d’organiser une soumission intériorisée limitant l’usage de la police aux plus rétifs à la pauvreté monastique. Chacun devrait réduire son empreinte écologique en consommant « mieux », c’est à dire en usant de produits estampillés écologiquement « marchandables ». Notons que, en sollicitant un certain dénuement volontaire, l’empreinte écologique relève tout de même l’inutilité pratique de nombre d’objets manufacturés. Mais là n’est pas son objectif primitif. Il s’agit bien davantage d’obtenir l’adhésion des exploités à ce mode d’exploitation. Car en définitive, les écolo-marchands prônent bien un système de régulation par le marché lui-même, les consommateurs « pratiquant » la rationalisation des échanges économiques selon les pseudo lois d’offre et demande. Ou bien, pour le dire plus clairement, l’empreinte sollicite un capitalisme plus consensuel. C’est pourquoi il ne faudrait ni que les pauvres soient trop visibles, ni que les réticences au processus de régulation ne parlent trop fort.

Voilà donc que s’organise aussi la grande confiscation de la parole. Seule les mots écolo-sacrés ont le droit de cité. On distribue même gratuitement des films bibliques comme « une vérité qui dérange » ou encore « home ». L’écologiquement correct est devenu la règle du capitalisme. Et puis, même la misère devient moins forte : en proposant le rationnement volontaire, chacun peut expliquer aux pauvres combien cette « richesse » (pourtant tant vantée pendant des décennies) est une mauvaise fortune. La pauvreté résolue des pauvres devient une norme bien-pensante. De toutes façons, la police va veiller à parfaire ce nouveau paradigme. L’état devient le grand Ubu qui serait capable de faire plier l’organisation marchande vers un monde écologiquement vendable. Le « citoyen » de base est réclamé pour participer à cette œuvre peu banale de délation de son prochain, chacun étant sollicité pour devenir auxiliaire de la police écologique.

Car oyez, oyez, bonne gens ! Vous devez vénérer la religion verte puisque vous êtes aussi coupables de la gabegie planétaire. Et pour éveiller « vos consciences », on peut craindre qu’on envoie la nouvelle police verte. Munie d’un dépliant pédagogique, elle expliquerait aux prolétaires que le volume de leurs déchets les condamne à payer davantage encore de leur personne. « C’est l’Etat, c’est l’autel de la religion politique sur lequel la société naturelle est toujours immolée » [8]. Si l’écologisme demande encore de l’état, toujours plus de police et d’état, ce n’est que pour protéger les cabrioles de la marchandise. Plus que jamais, le capitalisme reste un vulgaire mode d’exploitation des êtres humains. C’est cela la réalité de son empreinte.

Les prolétaires ne se laisseront pas aller sans résistances ni révoltes à cette misère écolo-marchande. Rien n’est devenu aussi visible que l’exploitation quotidienne. Les pseudo alternatives économiques dévoilent de plus en plus l’indigence de leurs principes. « Quel que soit le nom que prend le gouvernement, quelles que soient son origine et son organisation, son rôle essentiel est partout et toujours d’opprimer et d’exploiter, et de défendre les oppresseurs et les exploiteurs » rappelait Malatesta. Si l’espoir reste une catégorie électorale malveillante, la validité marchande de l’écologisme ne possède aussi qu’une durée commerciale limitée. Et voilà , la date de péremption des exploiteurs s’approche.

Fabien Bon (faucheur volontaire) & Thierry Lodé (professeur d’écologie évolutive)

- Solidaires, Ecologistes et Libertaires - Millau

P.-S.

Article paru dans plusieurs sites web (Divergences, L’En Dehors, La Gauche Verte, Monde Solidaire, S.E.L, Bellaciao ... etc)

Notes

[1Elu en 2009 vice-Président de la commission agricole au parlement Européen.

[2ou « Ecological footprints »

[3Rees W.E. 1992. Ecological footprints and appropriated carrying capacity : what urban economics leaves out. Environment and Urbanisation 4 (2) : 121–130.

[4Wackernagel, M. & W. Rees. 1996. Our Ecological Footprint : Reducing Human Impact on the Earth. New Society Publishers.

[5Grazi, JC, JM van den Bergh and P. Rietveld 2007. Welfare economics versus ecological footprint : modeling agglomeration, externalities and trade. Environmental and Resource Economics 38(1) : 135-153 ou encore Fiala, N. 2008. « Measuring sustainability : Why the ecological footprint is bad economics and bad environmental science ». Ecological Economics 67 (4) : 519–525

[6Ces marchands de la nature, le WWF, proposent d’ailleurs une individualisation du calcul de votre empreinte avant de vous inviter à racheter votre bonne conduite en consommant chez eux.

[7« Pour produire nos conditions d’existence, nous devons de toute urgence nous comporter en copropriétaires responsables. Nous redonnerons alors à l’économie son premier sens, celui du verbe »économiser« » ose énoncer Bernard Perret dans Le capitalisme est-il durable

[8Bakounine M 1867. Fédéralisme, socialisme et antithéologisme.


Proposé par Fabien B.
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  • Extrait de l’interview - propos tenus par Aurélien Boutaud :

    "C’est un petit peu comme le moteur d’une voiture : plus vous désirez rouler vite, et plus vous êtes amené à appuyer sur l’accélérateur, ce qui se traduit logiquement par une augmentation du volume de carburant consommé. Dans cette métaphore automobile, le productivisme (qui aujourd’hui est un productivisme capitaliste) peut apparaître comme une sorte de règle du jeu qui considèrerait que le plus important consiste à aller toujours plus vite. Le PIB, c’est un petit peu le compteur de vitesse. L’empreinte écologique essaie quant à elle de jouer le rôle de la jauge d’essence. Voilà pour la métaphore. Maintenant, si on est d’accord sur le constat, il y a ensuite deux manières d’envisager les solutions visant à réduire notre empreinte écologique : soit imaginer que la croissance du PIB peut se décorréler radicalement de l’empreinte écologique (c’est l’hypothèse soutenue par les tenants de la « croissance verte » ou « croissance durable ») ; soit revoir fondamentalement les objectifs que nous nous fixons collectivement, en tant que société, afin en particulier de permettre un épanouissement humain qui aille au-delà de l’accumulation de capital et la consommation sans cesse plus important de biens matériels (c’est la proposition des tenants de la décroissance et de tous ceux qui oeuvrent à une sortie civilisée du productivisme). La différence entre les deux n’est pas mince : d’un côté on ajoute un pot catalytique au capitalisme (avec des solutions techniques, de type écologie industrielle ou géo-ingénierie, le tout accompagné de mécanismes de marché), et de l’autre on décide de changer radicalement les règles du jeu, avec des solutions qui sont davantage politiques et organisationnelles que techniques. Ce qui, dans notre métaphore, revient peut-être à se poser la question de la destination plutôt que celle de la vitesse."

  • Merci monsieur Fabien Bon pour cet article très intéressant.

    Le rachat de credit

    Différents organismes bancaires en toute confidentialité. Si vous avez déjà bénéficié d’un refinancement de prêt, une seconde demande est possible pour le rachat de credit. Cependant, votre première restructuration de crédit ne doit pas avoir fait l’objet d’incidents.

  • Pour les auteurs de cet article, « sous des atours dissimulés, l’empreinte écologique proclame fondamentalement une même soumission au mécanisme de l’appropriation capitaliste. »

    Pas si simple, pas si simple, cf. « Le compteur et la jauge », interview de Natacha Gondran et Aurélien Boutaud (auteurs de « L’empreinte écologique », Éditions La Découverte, collection Repères, 2009), sur le site L’ÉcologithÈque.com

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