Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
ACTUALITÉS GENRE - FÉMINISME / MIGRATIONS - SANS-PAPIERS / TRAVAIL - PRÉCARITÉ
Publié le 25 janvier 2011 | Maj le 30 décembre 2018

[Gisti-info] "Frotter, toujours frotter, c’est fini, il faut payer" »


*Mogniss H. Abdallah*
Agence Im’media

Le 7 mars 2002, des femmes de chambre d’Arcade, sous-traitant du groupe hôtelier Accor, se lancent dans une grève illimitée. D’habitude réputée pour leur absence de « culture salariale », des « mamas » africaines en boubous donnent le tournis en jonglant avec des chiffres et en faisant valoir leurs revendications : baisse des cadences de travail, paiement de toutes les heures effectuées, alignement sur les salaires des autres femmes de ménage du groupe. Une lutte qui s’avère formatrice sur le long terme et ouvre la voie au combat général contre le travail à temps partiel forcé, le sale boulot « racialisé » et le travail en miettes.

À peine les voyageurs descendus du train, des équipes montent avec sacs poubelles, balais et serpillières dans les wagons pour les nettoyer avec dextérité. Il en va de même chaque jour dans les bureaux après le départ des employés, ainsi que dans les hôtels où les clients ne croisent les femmes de ménage que furtivement. Un évitement organisé qui semble fait pour rendre ces travailleurs « /invisibles/ ». C’est souvent à l’occasion d’une grève « /improbable/ » que le grand public découvre leur existence individuelle ou collective, et qu’ils font (re)découvrir leurs exécrables conditions de travail. Ce fut le cas pour les éboueurs africains à Paris en mai 1968, en pleine bourrasque étudiante, ou encore pour les nettoyeurs du métro à la fin des années soixante-dix, en pleine campagne pour la « /revalorisation du travail manuel/ » : le gouvernement envisageait alors de substituer des travailleurs français aux immigrés et a tenté une requalification toute sémantique des postes de travail : le balayeur se métamorphosait ainsi en « /technicien de surface/ ». Dans les années 2000, des mouvements de grève atypique que des femmes de ménage vont faire parler d’elles, et révéler la féminisation accrue de ce secteur du nettoyage
[1 <http://www.gisti.org/spip.php?artic...> ].

Le 7 mars 2002, des femmes de chambre d’Arcade, sous-traitant du groupe hôtelier Accor, se lancent dans une grève illimitée. D’habitude réputée pour leur absence de « /culture salariale/ », des « /mamas/ » africaines en boubous donnent le tournis en jonglant avec des chiffres et force détails relatifs à leur exploitation. « /On sait quand on commence, jamais quand on finit !/ » « /On n’a pas de salaire fixe, on ne sait pas
combien on gagne à la fin du mois, parce qu’un jour c’est 6 heures, un autre c’est 3 heures Et il n’y a pas de jours fixes/ », s’insurgent-elles, exigeant pêle-mêle le paiement immédiat des heures réellement travaillées, les primes dues qui manquent sur les fiches de paie, une baisse des cadences, un local, etc. Estimant qu’elles
effectuent un plein temps « /caché/ », elles réclament d’être payées 8 heures par jour, soit l’équivalent d’un temps mensuel plein.

Revendications moins anecdotiques qu’il n’y paraît. En effet, outre le temps partiel contraint qui caractérise de plus en plus le travail des femmes en général, elles subissent de plein fouet une gestion fort pernicieuse des variations d’activité dans l’hôtellerie où, à la différence des bureaux dont la surface à nettoyer reste stable, le
nombre de chambres et donc la charge de travail change tout le temps en fonction du taux d’occupation. Au jour le jour, la « /gouvernante/ » (chef d’équipe) leur donne donc le nombre de chambres à remiser, qui peut varier de dix à trente, selon un mode de calcul basé sur une moyenne de dix-sept minutes par chambre. Elles sont donc payées à la pièce (ou à la tâche) et non en fonction des heures figurant sur leurs
contrats. Comme elles n’arrivent pas à tenir la cadence, soit elles font des heures supplémentaires non payées pour finir le quota de chambres qui leur a été assigné, soit on convertit les chambres non nettoyées en heures d’absence décomptées du salaire ! À cela s’ajoute l’inégalité entre les femmes de chambre d’Arcade et les « /filles/ » employées directement pour Accor. Bien qu’elles effectuent côte-à -côte le même travail, la différence de traitement est par trop flagrante : les salariées d’Arcade doivent faire 4 à 5 chambres de l’heure, celles d’Accor ont un quota fixe de 2,5/h soit 19 chambres en 8 heures Les payes varient de 610 à 1 220 euros ; les unes sont obligées de se cacher dans les toilettes des clients pour boire ou manger, les autres ont une pause déjeuner, etc. D’où un sentiment de « /surexploitation/ » très
fort parmi les femmes d’Arcade, vécu comme une humiliation permanente alimentée par le harcèlement de la « /gouvernante/ » qui n’a de cesse de surveiller et de pousser à l’augmentation des cadences. Derrière ses airs de « /petit chef/ », elle est le pivot d’un système où coexistent, comme l’explique la sociologue Isabelle Puech, « /différents niveaux d’exploitation salariale qui se structurent notamment autour de
l’origine ethnique/ » : les « /filles/ », plus jeunes, davantage au contact des clients, souvent d’origine espagnole ou portugaise ; et les femmes de ménage africaines, plus âgées, pour la plupart arrivées en France au début des années quatre-vingt dans le cadre du regroupement familial, exerçant là leur premier métier salarié à des postes « /invisibles/ » (chambres, toilettes, locaux vides…). L’incapacité de ces dernières à lire ou à comprendre leur contrat de travail serait l’un des principaux critères d’embauche chez Arcade. Quant à l’irrégularité du séjour, elle ne poserait guère de soucis. « /Tu ramènes les papiers de ta grand-mère, ils vont t’embaucher !/ » rigolent-elles. Toutes racontent les conditions d’embauche, le bouche à oreille, les
candidatures spontanées, l’entretien initial au cours duquel mieux vaut paraître ignare, la condescendance affichée d’emblée, puis la brusque prise de fonction, la formation sur le tas et la découverte de la pénibilité du travail, l’absence de repos et déjà les premiers accidents, les soucis de santé (maux de dos, de reins, l’insomnie, les fausses couches, etc.).

Une partie craque et disparaît du jour au lendemain, la majorité continue de longues années en serrant les poings. Certaines complètent ce travail par un deuxième boulot ailleurs, dans des bureaux en nocturne par exemple. Leur paie cumulée, aussi minime soit-elle, ne constitue pas comme on le dit un « /salaire d’appoint/ » mais bien plus le revenu principal pour des mères seules ou avec des maris en situation précaire, et des aînées qui envoient de l’argent aux parents au pays.

(...)

*> La suite de l’article est à l’adresse*
http://www.gisti.org/spip.php?article2192

Cet article est extrait du n° 87 de la revue Plein droit (décembre 2010),
« Sur le front des frontières »
http://www.gisti.org/spip.php?article2114

sommaire du Plein droit 87 <http://www.gisti.org/spip.php?article2192>

P.-S.

Article extrait du Plein Droit n° 87


Proposé par vla
Partager cet article
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Se connecter
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Comment publier sur lenumerozero.info?

Le Numéro Zéro n’est pas un collectif de rédaction, c’est un outil qui permet la publication d’articles que vous proposez.
La proposition d’article se fait à travers l’interface privée du site. Voila quelques infos rapides pour comprendre la publication. Si vous rencontrez le moindre problème, n’hésitez pas à nous le faire savoir via notre mail lenumerozero [at] riseup.net

 

NEWSLETTER

Lire aussi dans MIGRATIONS - SANS-PAPIERS

Lire aussi dans TRAVAIL - PRÉCARITÉ

Lire aussi dans GENRE - FÉMINISME

PROCHAINS RENDEZ-VOUS

À la une...

S’opposer au massacre à Gaza ! Un point de vue anarchiste
Publié le 24/04/2024

1er Mai contre la prison
Publié le 24/04/2024

Soirée de soutien à la tauto-école Slow&Furious
Publié le 24/04/2024

Conférence sur France travail
Publié le 22/04/2024

Ouverture de l’Hérissé·e
Publié le 19/04/2024

Quatre rendez-vous dans la Loire au sujet des Mégabassines
Publié le 19/04/2024