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SAINT-ÉTIENNE  
Publié le 7 juin 2019 | Maj le 25 avril 2020

Quartier Saint-Roch : nouveau théâtre de rénovation urbaine


La transformation du quartier Saint-Roch vise à redynamiser un quartier qualifié de « précaire », « peu attractif », « peu sécuritaire ». L’aspect participatif du projet est revendiqué par les aménageurs. Il est évident que l’empowerment « à la française » n’est qu’une illusion pour renforcer la légitimité d’action des établissements chargés de la rénovation urbaine quand bien même ils tentent de déléguer leur projet à des acteurs locaux.
Nous avons donc mené l’enquête et nous sommes interrogés sur le lien entre l’EPASE (Établissement public d’aménagement de Saint-Étienne) et les associations du territoire.

Le projet Urbain Saint-Roch en quelques mots

L’EPASE a donné pour mission au collectif CoopRoch [1] regroupant un ensemble d’experts (urbanistes, architectes, sociologues...) de participer à l’élaboration d’un projet global d’aménagement incluant l’espace public et l’habitat sur le périmètre du quartier Saint-Roch. La démarche est présentée dans leur brochure de la manière suivante : « une approche innovante associant le travail de terrain et de bureau avec les participations des habitant.es, des usagers, des gestionnaires et des partenaires publics autour d’un projet commun fédérateur, cohérent et qualitatif ». Après un diagnostic de 5 mois en 2017, les travaux sont lancés début 2018.

La langue de bois : une maladie contagieuse ?

L’EPA Saint-Étienne a publié un recueil de tous les Ateliers PARticipatifs THEmatiques qui ont eu lieu dans le cadre du Projet Urbain Saint-Roch. L’objectif de la rénovation urbaine est de rendre le quartier plus attractif en offrant des « espaces et des usages adaptés aux besoins contemporains ». La notion de « confort urbain » y est forte et clairement défendue. Mais de quel confort parle-t-on et surtout pour qui ? À quels besoins contemporains les nouveaux aménagements vont répondre ? Et les besoins de qui ?
La ville de Saint-Étienne a été qualifiée comme étant la capitale des taudis (cf l’article du Monde du 08/12/14). La municipalité mise sur sa redynamisation pour la rendre plus attractive. Ces mots relevant du dictionnaire de la Langue de Bois même s’ils se présentent comme très positifs, sont peu transparents car ne dévoilent pas les réelles intentions des pouvoirs publics. Mais surtout, ils sonnent creux car, utilisés à outrance, ils sont vidés de leur substance sémantique.
Qui irait s’opposer à un « projet commun fédérateur » ? Au « bien-être » et au « confort urbain » ? Ou encore à un « quartier vivant » ou à des « espaces de respiration » ?
À travers ces termes là, l’EPASE se donne une image très encourageante, pleine de bienveillance et de bonne volonté de sorte qu’il semble difficile d’arriver à lire entre les lignes pour construire une critique qui aurait du poids. Si les aménageurs restent transparents dans leurs publications (elles sont accessibles sur leur site), ils le sont moins dans leurs intentions. Qu’entendent-ils par « besoins contemporains » ? Quel aspect veulent-ils donner à la ville ?
Si CoopRoch applaudit dans sa brochure le passage des musiciens du conservatoire, les restaurants qui ont vu le jour ces dernières années sont totalement dénigrés : « On aime bien voir passer les musiciens petits et grands avec leurs instruments, c’est agréable, sympathique, cela renvoie une image positive » opposé à « Aujourd’hui, la rue Durafour pâtit d’une image dégradée pour de multiples raisons qui se cristallisent autour de la forte concentration de restauration rapide , si bien qu’elle est identifiée petit à petit comme « la rue des Kebabs ». Cette volonté de contrôle de ce que doit être une ville ou un quartier en fonction d’intérêts politiques et économiques est déplorable.
Malgré tout, ces discours sont monnaie courante et leur élan optimiste peuvent nous désemparer plus qu’une parole franchement assumée. On aura bien compris que le destin forcé de Saint-Étienne est de devenir attractive comme sa voisine Lyon. Le budget de la ville est majoritairement consacré à des projets commerciaux et financiers. Il vise un centre des affaires imposant près de la gare, un futur centre commercial défiant toute concurrence, des quartiers qualifiés précaires rénovés pour accueillir une nouvelle population au détriment de celle existante, une biennale du design pour se donner une identité culturelle forte. Tout ceci bien entendu au préjudice du déploiement de structures d’hébergements d’urgence, de l’accueil de demandeur.euses d’asile, de l’attribution de subvention à des associations, de l’emploi de salarié.es dans les écoles, etc. Les priorités de la mairie en étroite collaboration avec l’EPASE (pour rappel le président du CA n’est autre que Gaël Perdriaux), sont évidentes. Elles se résument à passer un coup de peinture sur la ville avec une touche de vernis design. Une peinture bling bling et pleine de paillettes qui donne l’impression que la ville sera merveilleuse à l’instar des panneaux des promoteurs immobiliers placardés devant des bâtiments en construction. On y voit des enfants qui jouent, une dame qui promène son chien et des voisins qui discutent. Mais, si cette image reflète une vision du monde en total décalage avec la vie réelle, elle témoigne aussi d’une volonté de faire sa place dans un modèle capitaliste et concurrentiel entre les villes. C’est une gestion entrepreneuriale des métropoles qui s’ancre dans une vision futuriste ayant pour but de faire table rase de l’existant.

De la démocratie participative à la française

« Avec l’objectif de redynamiser l’attractivité commerciale et résidentielle du centre-ville, l’EPASE a employé des méthodes dynamiques de consultation et d’expérimentation urbaine, avec la participation active des citoyens. » (Zoom d’ici, 03/05/2017).
Afin de rendre légitime ces projets de rénovations urbaines, le recours à la participation des habitant.es est de plus en plus pratiqué. Mais qui participe à ses ateliers de réflexions ? Quelles thématiques sont proposées ? Quels outils utilise-t-on et sont-ils accessibles à toutes et tous ? Finalement que fait-on de la matière qui émerge dans ces réflexions ? CoopRoch a proposé plusieurs ateliers, appelés APARTHE, ayant pour but de réfléchir avec les habitants autour de la rénovation de leur quartier et de leur besoins. Il y en a eu 6 au total établis entre mai et octobre 2017, ils ont servi à la construction d’un « diagnostic de territoire ». Au cours d’un entretien avec une des personnes engagée dans Coop Roch, il semblerait qu’un groupe d’habitant.e.s se ferait les membres actifs représentants de l’ensemble des riverains. Or pour s’impliquer dans ce processus politique « l’individu se doit de connaître les codes, les logiques de projet et de disposer de ressources particulières tant culturelles, relationnelles qu’économiques » [2], de sorte que seulement certain.e.s y prennent part. Comme d’habitude, on imagine donc une poignée d’individus blancs, aux cheveux gris, avec du temps et des ressources, défendant leurs intérêts (proches de ceux.celles des aménageurs ?) au détriment d’autres.
Quelles thématiques sont proposées ?

« La plupart du temps les démarches de participation de proximité ne partent pas des préoccupations des gens mais de celles de l’institution qui a souvent tendance à se focaliser sur des questions d’urbanisme ou de cadre de vie. » [3]

À travers des parcours commentés du quartier, réflexion autour de cartes, de maquettes ou encore de photos pour cibler les points faibles et les points forts, plusieurs idées ont émergées. Néanmoins, « les contraintes budgétaires et techniques font que les préconisations ne pourront être intégrées dans leur ensemble ». Et Steel combien ça coûte ?

Quelles préconisations seront mises de côté ? Lesquelles seront gardées ?

Sur leur brochure, il est écrit noir sur rose : « Le présent compte-rendu a pour vocation de synthétiser – le plus fidèlement possible – les échanges et les informations recueillies. Il n’engage en rien l’ EPASE, la Ville de Saint-Étienne et la Métropole sur les orientations du projet ».
Alors pourquoi ? Malgré toute leur bonne volonté, CoopRoch et ses démarches sont-elles vraiment participatives ? Les habitant.es, usager.ères, commerçant.es ont-ils vraiment pris part à une procédure si l’on adopte la définition au sens politique de la participation ?
Inviter à participer uniquement sous cette forme, ne serait-ce pas une manière de rendre illégitime toute autre forme de prise de position qui serait en dehors du cadre bien délimité (avec ses règles, ses outils, ses thématiques) imposé par ces « expert.es du pouvoir d’agir » ? N’y a t-il pas là une pleine dépossession de la liberté des personnes dans leur réelle capacité d’action et de réflexion ?
Ces questions méritent d’être creusées car ces méthodes se répandent de plus en plus. Elles donnent l’illusion d’une prise de pouvoir or celui-ci est brimé par des règles établies au préalable et auxquelles on ne peut déroger. Les expert.es ne font que mettre la main dans un sac de nœuds et tirer les ficelles qui vont dans leur sens. Ils cherchent à rendre légitimes leurs décisions en utilisant la parole des habitant.es et en prétendant qu’elle est ainsi prise en compte par les pouvoirs publics.

Notes

[1CoopRoch : Itinéraire bis, Pauline Fargettas, Captain Ludd, Bingénierie, Novae, Rues du Développement Durable, Migraton et Images Mémorielles, Fédération Soliha.

[2Joris Danthon, « La participation citoyenne dans les projets urbains, enjeux et débats », décembre 2013, en ligne sous : https://regardssurlaville.wordpress.com/2013/12/28/la-participation-citoyenne-dans-les-projets-urbains-enjeux-et-debats/.

[3Idem.


Proposé par Carnavaal
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