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ACTUALITÉS FLICAGE - SURVEILLANCE
SAINT-ÉTIENNE  
Publié le 25 mai 2019 | Maj le 25 avril 2020

The wire, Tarentaize sur écoute


Design et numérique sont les mots préférés de nos puissant(e)s pour défendre n’importe lequel de leur projet stéphanois. Les armes fabriquées par Verney-Carron sont design, les micros qui seront installés par sa filiale Serenicity le seront sûrement aussi.

Discrétion, intelligence et connexion

La municipalité Perdriesque se veut à la pointe de la Smart City, design, ultra-connectée et surveillée. Les start-up de la cité du design sont donc mises à l’honneur avec ce nouveau projet digne de Georges Orwell. Son petit nom c’est SOFT pour Saint-Étienne Observatoire des Fréquences du Territoire. On croirait presque à un dispositif de défense de nos droits, type Observatoire international des prisons. Rien à voir.
Pour la première fois en France, une vingtaine de capteurs sont installés dans l’espace public, dissimulés dans des lampadaires ou des panneaux de signalisation. Ils n’enregistreront pas les voix (pour l’instant) mais détecteront les bruits « suspects » et donneront l’alerte. L’objectif affiché est de prévenir les keufs en cas de cris ou de coups de feu. Une fois de plus, la lutte contre le terrorisme sert de prétexte à une plus grande surveillance de nos vies. Un agent sera dédié à l’écoute des alertes pour confirmer à l’oreille si les bruits décelés sont bien suspects. On redoute la confirmation par vidéosurveillance qui risque de pousser encore plus loin la réduction de nos libertés privées. L’expérimentation de six mois risque d’aller plus loin par la suite et déployée sur toute la ville.
SereniCity parle d’un module « discret, intelligent et connecté » pour évoquer les capteurs du leadeur international Analog Devices. La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) – sur laquelle on ne comptait pas vraiment – a validé le projet. « Nous n’enregistrons rien [...] nous détectons seulement la signature acoustique » rassure Fabrice Koszyk, l’un des directeurs de la filiale et responsable de plusieurs entreprises spécialisées dans le business conseil ou dans l’accompagnement de PME dans leurs « transactions digitales » [1]. Un mec qui pèse quoi.

Les nouveaux nouveaux riches

Parlons-en justement de ceux qui font l’entreprise. Serenicity fait partie des start-up chéries par la municipalité et installées à la Cité du Design. Elle a été créée en juin 2018 et est dirigée par six associés. Guillaume Verney-Carron l’héritier fabriquant d’armes la préside. Un joli combo : start-up, armement, municipalité, État. En creusant un peu, on se rend compte que l’un des associés, Eric Pétrotto est bien connu du quartier Manufacture-Plaine Achille sur lequel est implantée la cité du Design. Il est l’ancien directeur du Fil, de la Fabuleuse Cantine et de 1DTouch.
Il est aussi le directeur de DOOD pour Digital Orchestra Of Data, une entreprise fondée en 2017 qui a pour but « la création, co-création, la propulsion, la transformation de startups du ‘nouVeau nouveau’ monde ». « Dood » c’est aussi en anglais argotique un ami proche, quelqu’un qui te rend fou... On peut dire tellement proche qu’il nous rend fou c’est sûr. Loin d’être une simple entreprise d’informatique tel qu’annoncé sur leur page Facebook, DOOD est référencé sur « societe.com » comme une société spécialisée dans le secteur d’activité de la gestion de fonds. En clair, nous avons à faire ici à la société type d’un « business angel » qui investit dans la nouvelle économie, le nouvel écosystème numérique d’aujourd’hui. Avec Pétrotto, tout passe à la sauce digitalisation : la musique (1DLab/1Dtouch), l’alimentation (FABuleuse cantine), la santé (Allobobo), ... et la sécurité (Serenicity) !
Entre deux photos de la belle cuisine de la Fabuleuse Cantine (pour ceux qui n’y ont jamais mis les pieds, c’est l’endroit chic et pas cher où aime bien se retrouver la bourgeoisie culturelle locale le temps d’un p’tit gueuleton – à la Cité du Design cela va sans dire), Eric Pétrotto poste sur son compte Facebook quelques articles sur la manière dont les smart cities vont changer le monde [2].
Le projet est donc le fruit d’une belle rencontre entre la vieille bourgeoisie industrielle et la bourgeoisie des temps modernes, jeune, branchée, cool et connectée, celle qui fabrique la culture « métropole ». Une sorte de mariage entre le pire du capitalisme industriel (les armes) et le pire du capitalisme numérique (collecte et analyse des data), qui prend les quartiers populaires comme terrain d’expérimentation.

Laboratoire de la surveillance

L’ANRU (Agence nationale de la rénovation urbaine) qui intervient dans les quartiers prioritaires finance le projet parmi d’autres. 2,2M d’euros sont dépensés pour faire de Saint-Étienne Métropole une « ville connectée » [Programme d’investissement d’avenir ville et territoires durables et solidaires]. « Le projet de Serenicity, qui nécessite dans un premier temps dans les 150 000 € entre dans ce projet global », explique Jean-Pierre Berger, conseiller de Saint-Étienne Métropole et président d’Épures, l’agence d’urbanisme de la région stéphanoise.
Le policier de l’espace dévoile sa stratégie : « nous nous sommes rapprochés de bailleurs sociaux. Nous comptons sur eux afin de convaincre les habitants des quartiers en difficulté de participer à nos panels. Par exemple, comme avec Serenicity, nous envisageons un partenariat avec Suez pour comprendre la consommation d’eau des foyers et les accompagner dans l’économie des ressources ». Des démarches qui ne sont pas sans rappeler l’application mobile MobiliSE qui permet la délation entre stéphanois-e-s en envoyant des messages à la ville concernant les travaux ou les « incivilités ».
Tout ça avec la plus grande bienveillance (le mot est utilisé toutes les deux phrases par Serenicity) : « Notre volonté est de rendre plus efficient l’existant et de rendre moins intrusive la vidéoprotection avec des personnes qui contrôlent les écrans. Le but est d’intégrer notre technologie aux systèmes existants au sein des collectivités » explique Fabrice Koszyk. Nous voilà rassurés, ce projet va garantir nos libertés individuelles… D’ailleurs, « Grâce aux sons collectés, peut-être qu’un jour nous serons en mesure de mener un recensement des chants des oiseaux par exemple. C’est aussi ça, la big data ». On contrôle d’abord les badauds [3], ensuite on s’intéressera aux oiseaux.

Notes

[1Il est, avec Eric Pétrotto, l’un des fondateurs de Sunbren, une autre start-up de la FrenchTech. Ce label attribué à Saint-Étienne fait partie des outils du marketing territorial.

[3La Start-up est fière de nous annoncer sur son site en construction qu’en 2050, 7 personnes sur 10 vivront dans une ville intelligente (mais sans oiseaux ?).


Proposé par Carnavaal
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