Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
GUIDES PRATIQUES GENRE - FÉMINISME
Publié le 29 mars 2019 | Maj le 1er février 2023

Un lexique partiel du féminisme et des oppressions


Comme la plupart des mouvements politiques et de critique sociale, le féminisme possède son vocabulaire propre. Qui n’est pas forcément très accessible...

Ce lexique tente de regrouper et d’expliquer des termes souvent utilisés pour parler des oppressions et des luttes féministes. Il s’adresse aux personnes victimes d’oppressions, et aussi aux personnes qui n’en vivent pas mais vivent dans une société structurée par ces oppressions, et sont donc également concernées.
Certaines des définitions ci-dessous ne correspondent pas aux idées de tous les courants féministes, ou sortent du cadre du féminisme. Elles sont utiles à la compréhension des structures sociales, et à celle de l’imbrication des différentes oppressions. Elles proviennent d’ouvrages de sociologie, de lectures personnelles synthétisées, d’écrits militants... Les sources ne sont pas toujours identifiées et citées parce qu’il a été difficile de s’en souvenir systématiquement. Les définitions sont ouvertes à discussions, retouches... Elles appartiennent à un cadre de critique et d’analyse du fonctionnement de la société. Il y a donc parfois un écart avec les définitions du dictionnaire, qui ne tiennent pas toujours compte de la dimension politique et du contexte de l’usage des mots. Certains éléments ne sont peut être pas suffisamment faciles à comprendre, malgré l’intention de les rendre accessibles. Les appréhender peut demander du temps, de la réflexion, du travail.

A.F.A.B / A.M.A.B. : (acronymes en anglais « assignated female/male at birth ») Assigné.e femme/homme à la naissance.

Binarité de genre : norme sociale actuellement dominante, disant qu’il y a uniquement deux genres, qui sont très différents, voire opposés : le féminin et le masculin et que tous les individus doivent se répartir entre ces deux catégories.

Charge mentale (ménagère) : travail de logistique souvent invisible autour des tâches domestiques (y penser, les planifier, les entamer...). Lorsque des femmes cohabitent avec des hommes, et pas forcément dans le cadre d’un couple, cette charge leur retombe souvent dessus. Les hommes vont se reposer sur elles par l’effet de clichés sexistes perpétuant l’idée que c’est plus « leur truc », qu’elles vont mieux le faire. Cette déresponsabilisation n’est pas toujours consciente. Les hommes se montrant oublieux, les femmes sont forcées de s’occuper de penser aux choses du quotidien, et les femmes se chargeant de planifier les choses du quotidien, les hommes se montrent oublieux. Cela peut survenir avec des hommes qui avaient l’habitude de vivre seuls auparavant et vont reproduire ce schéma une fois installés dans un quotidien avec une compagne. Ce qui instaure un déséquilibre évident au niveau du temps libre et de la possibilité de chacun.e de penser à des choses plus épanouissantes.

Charge émotionnelle (travail émotionnel) : travail d’attention et de soin vis à vis de l’autre et de ce qu’il ressent. Dans la sphère professionnelle et dans l’espace public, cela désigne tout le travail de présentation, de modulation de ses expressions faciales, d’attitude ouverte et agréable (envers les client.e.s, ses collègues, divers inconnu.e.s). C’est aussi penser à souhaiter les anniversaires, à organiser des pots de départ... Souvent ce travail n’est pas reconnu, car les femmes sont censées le faire « naturellement ». En parallèle, si elles ne le font pas, ce sera remarqué et jugé négativement, bien plus que chez leurs collègues masculins (par exemple une femme au guichet de la SNCF qui ne sourit pas sera jugée désagréable. Un homme, lui, sera jugé plus facilement comme sérieux, professionnel, préoccupé...). Cette pression sur les femmes est renforcée par le fait qu’elles occupent la majorité des emplois de soin, d’accueil... Il y aurait de nombreuses choses à dire sur l’essentialisation des qualités dites féminines au travail et sur l’exploitation capitaliste dépourvue de compensation qui en découle.
Dans la sphère personnelle, la charge émotionnelle est un travail d’écoute, d’empathie et de prise en charge des émotions de l’autre (qui peut être un partenaire, un ami, un membre de la famille) dans le but de lui faire du bien. C’est aussi la prise en charge du travail lié aux relations affectives. La répartition du travail émotionnel est inégalitaire et pèse majoritairement sur les femmes, les personnes assignées « femme », et les personnes transféminines. Ce phénomène s’explique par une différenciation des attentes dès le plus jeune âge, et une vision du soin de l’autre et des émotions comme des domaines féminins. Il est fréquent que les hommes aient une vision superficielle de ce en quoi consiste le travail émotionnel, et qu’à cause de leur construction masculine ils ne puissent pas développer les capacités d’empathie et de communication qui lui sont nécessaires. Le fait qu’il y ait toujours des femmes pour le faire pour eux et à leur place peut également leur permettre de ne pas trop s’investir dans cet apprentissage.
Les rapports de domination influent sur la répartition du travail émotionnel. Les personnes dominées sont poussées à se mettre au service des dominants, y compris concernant leur bien-être psychique. Dans de nombreuses situations, ce souci des émotions de l’autre est aussi là pour éviter de nous faire maltraiter psychologiquement à cause de ses réactions. On utilise de l’énergie à adapter notre discours pour ne pas subir sa colère, ses accusations de culpabilisation... On fait attention à l’autre par crainte de conséquences désagréables, voire violentes.

Cisgenre : dont le genre correspond à celui qui lui a été attribué à la naissance.
Ce mot permet de poser un terme sur une condition qui n’est habituellement pas nommée, car elle correspond à la norme. Cela nous extrait, au moins dans le langage, d’une opposition entre « transgenre » et « normal ».

Dominant.e : se dit à propos d’une personne ou d’une catégorie de personnes qui sont avantagées par le fonctionnement et les structures de la société. Être « dominant.e » peut être renforcé par un comportement, mais c’est avant tout un état. On n’a pas besoin de faire quoi que ce soit pour bénéficier d’avantages, lorsqu’on est dominant. Et on domine donc d’autres personnes, pas parce qu’on le veut, mais parce qu’on appartient à une certaine catégorie. (Exemple : un homme a l’avantage d’être payé 27% de plus qu’une femme, en moyenne. Il ne vole pas activement de l’argent à une ou des femmes, mais il touche quand même cet argent et en bénéficie, ce qui l’avantage, lui donne plus d’aisance financière, de possibilités de dépenses...).
« Dominant.e » peut aussi qualifier une norme qui est prépondérante dans la société. Et qui opprime les personnes qui en sont exclues.

Genre : caractéristique sociale de notre identité, actuellement construite sur la binarité féminin/masculin (dans la norme dominante). Des caractéristiques et capacités sont attribuées à chaque genre. Elles sont variables selon l’époque et la société dans laquelle on se trouve, mais une constante de répartition entre féminin et masculin est remarquée, ainsi que la persistance de l’attribution des caractéristiques valorisées et donnant du pouvoir au genre masculin. Le genre est donc une construction sociale traversée par une logique de hiérarchie.
On nous l’attribue à la naissance en se basant sur une donnée anatomique superficielle : la conformité de l’apparence de nos organes génitaux à des organes mâles OU femelles. Une comparaison est souvent faite entre le « genre » et le « sexe », qui lui serait biologique. Cependant, même en se plaçant du point de vue de la biologie, de nombreux critères et une infinité de variations existent. Et la biologie n’est pas neutre, les recherches des scientifiques sont orientées par la société dans laquelle ielles vivent, et dont ielles ne questionnent pas forcément les normes. Pour résumer (de façon certes bien insuffisante), on peut dire que le genre est un élément très structurant de notre identité, et qu’il influence également l’idée que l’on se fait d’un « sexe biologique ».
« Genrer » désigne l’action (le plus souvent inconsciente et systématique) d’attribuer un genre à une personne.

Hétéronormativité : ensemble de pressions qui poussent à se conformer aux normes de l’hétérosexualité.
À l’échelle individuelle, cela pousse à correspondre aux normes de son propre genre.
Dans les relations, cela pousse une des personnes à adopter un rôle correspondant au rôle féminin, et l’autre un rôle correspondant au rôle masculin, ce qui maintient une répartition des rôles et tâches basée sur la binarité de genre, et une hiérarchie. Cela fonctionne dans des relations hétérosexuelles, non-hétérosexuelles, des relations amicales, familiales...
À l’échelle de la société, les institutions sont discriminantes envers les personnes ne correspondant pas à l’hétéronormativité, du fait de leurs orientations sexuelles, identités de genre, schémas relationnels…

Héterosexualité : orientation sexuelle/affective désignant les relations entre femmes et hommes. L’hétérosexualité est actuellement une norme, à laquelle il existe une pression à se conformer. Les personnes ne correspondant pas à cette norme subissent homophobie, lesbophobie, biphobie.
Cette norme peut se résumer à :
- femme (dans un rôle correspondant au rôle féminin dans une relation) + homme (dans un rôle correspondant au rôle masculin dans une relation).
- dans des conditions relationnelles attendues (cohabitation, exclusivité sentimentale, exclusivité sexuelle, enfants). Il peut y avoir des variations et plus de souplesse sur certains éléments selon les milieux sociaux, la période de la vie...
Elle reproduit la domination masculine au sein des relations intimes :
- parce que les normes de féminité poussent les femmes à prendre en charge ce qui concerne les relations affectives, et donc, dans le cadre d’une relation avec un homme, elles fournissent plus de travail (domestique, émotionnel... ).
- parce qu’un rapport d’affection et de dépendance mutuelle entre des personnes qui ne sont pas sur un pied d’égalité expose la personne dominée à toute une série de pressions et de violences.

Intersectionnalité : Cadre d’analyses et de pratiques militantes qui tend à prendre en compte toutes les oppressions présentes dans une situation donnée, en particulier celles liées à la race, au genre et à la classe sociale. Lorsqu’on est touché.e.s par plusieurs oppressions, cela peut avoir des conséquences différentes, qui ne se résument pas à une addition des effets des oppressions concernées. Par exemple si on est une femme, et qu’on est issue des classes populaires, on subit une forme de sexisme lié à la classe sociale (ou la forme de classisme spécifiquement expérimentée par les femmes). On sera visée par des clichés et des à priori spécifiques aux femmes pauvres (femme peu soignée, vulgaire...), on sera plus vulnérable dans certaines situations, comme par exemple en cas de violences conjugales (dépendance financière fréquente vis à vis du conjoint, manque de considération de la part de la police)… Les deux oppressions convergent et ont des effets générés par cette convergence.
L’intersectionnalité est issue de mouvements militants de féministes noires nord-américaines.

Oppressions (systémiques) : ensemble de discriminations et de violences pesant sur des personnes du fait de leur appartenance à des groupes socialement dominés. « Systémique » signifie qu’elles sont comprises dans les structures sociales et ne sont pas juste le fait d’individu.e.s isolé.e.s.
La société étant construite pour le bénéfice des hommes blancs cisgenres hétérosexuels et bourgeois, le fait d’être exclu.e d’une ou plusieurs de ces catégories limite (voire prive de) l’accès à des choses aussi diverses que le logement, l’éducation, la reconnaissance de ses capacités intellectuelles, des images positives auxquelles s’identifier dans les films, un épanouissement sexuel, la tranquillité dans l’espace public, l’accès à la justice...
Il y a des éléments qui peuvent aggraver et/ou modifier les conséquences des oppressions, comme la non-conformité aux normes de notre catégorie (par exemple, une femme qui ne cherche pas à soigner son apparence physique subira des réflexions désobligeantes, voire des discriminations supplémentaires) ou le croisement de plusieurs oppressions (voir à "intersectionnalité").

Patriarcat : type d’organisation sociale dans laquelle ce sont les hommes qui détiennent le pouvoir.

Privilèges : avantages dont on bénéficie automatiquement parce qu’on appartient à des catégories dominantes socialement. Peut être utilisé au singulier pour désigner un ensemble particulier de privilèges : le privilège blanc, le privilège masculin...
Les catégories privilégiées sont, pour le genre, les hommes cisgenre, pour la race, les personnes blanches, pour la classe, les personnes bourgeoises, aisées financièrement...

Race : caractéristique sociale (n’ayant aucune justification « scientifique ») basée sur l’apparence physique (principalement la couleur de peau, mais d’autres éléments peuvent entrer en jeu dans une moindre mesure, par exemple d’autres traits physiques, la langue parlée, la tenue vestimentaire...). L’emploi de ce mot est délicat, car il a longtemps été utilisé pour justifier des violences envers des catégories de population. Cependant il permet de nommer un critère actuel de catégorisation sociale, ce qui est nécessaire pour pouvoir en parler et lutter contre les violences qui y sont liées. Il est difficile d’imaginer que le racisme puisse disparaître parce qu’on arrêterait de le nommer. Et si le racisme existe, c’est que la répartition en catégories raciales existe. Et donc que la notion de race, au sens social du terme, existe. On préfèrera employer « race » entouré d’autres termes, pour rendre plus visible le fait qu’on l’utilise dans un cadre d’analyse et de critique (« notion de race », « oppression liée à la race », « race sociale »...).
Il y a des actes individuels et ponctuels qui peuvent être qualifiés de racistes (insultes dans la rue, propos discriminants), mais le racisme structurel est présent dans toutes les institutions (police, justice, école, mais aussi cinéma, télévision, …). Il a un impact matériel sur la vie et sur le bien-être, constamment, sur de très nombreux aspects, et sur du long terme. Cet impact est positif lorsqu’on est blanc.h.e, négatif lorsqu’on est racisé.e.
Le terme « racisé.e.s » est l’un des termes employés pour qualifier les personnes ne bénéficiant pas du privilège blanc. Le suffixe « - isé.e.s » exprime le fait que l’identité raciale est en quelque sorte « collée » sur les personnes par le regard que la société et les individus portent sur elles.

Transgenre : dont le genre ne correspond pas à celui qui lui a été attribué à la naissance.

T.E.R.F. : (acronyme en anglais de « trans exclusive radical féminists ») féministes radicales trans-exclusives. Féministes ayant une attitude discriminante envers les personnes trans. Le plus souvent, leur hostilité se concentre sur les femmes trans et les personnes transféminines. « T.E.R.F. » est plutôt un terme péjoratif.

Le lexique, assorti d’une liste de pistes de lectures, à télécharger ici.

P.-S.

Le point de vue est celui d’une femme blanche cisgenre bie valide, issue de classes sociales moyennes/basses, munie d’un capital culturel et intellectuel reconnu par des institutions. Lorsque je parle d’ « hommes » et de « femmes », cela désigne des personnes cisgenres.


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