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ANALYSES ET RÉFLEXIONS CAPITALISME - GLOBALISATION / ÉCOLOGIE - NUCLÉAIRE
LOIRE (42)  
Publié le 23 juillet 2022 | Maj le 23 août 2022

Daltonisme hivernal


Quand Laurent Wauquiez fait un « show-communication » à propos d’un déploiement de plan-thune pour sa région, généralement ça sent le roussi. Il n’y a pas que le Couac qui s’intéresse au sport, notre Lolo régional et ses acolytes départementaux aussi ! Mais attention, pas n’importe quel sport non plus – le sport noble des hauteurs, des « premiers de cordées » : le ski. Rhône-Alpes-Auvergne, c’est les montagnes enneigées et ses tire-fesses, on ne pas laisser une épidémie ou un réchauffement climatique mettre à bas les infrastructures de l’or blanc.

Donc, c’est au Grand-Bornand, le 16 septembre de cette année qu’il annonce son plan montagne n°2, le Retour. Soit 100 millions d’euros dont le but est de « tendre vers des stations zéro émission ». Des idées comme le canon à neige avec panneau photovoltaïque montrent à quel point ces charlatans sont prêts à souscrire au capitalisme vert sans honte du ridicule.

Le plan détaille quatre priorités :

  • accompagner les projets de développement durable (10 millions d’euros) ;
  • diversifier l’offre touristique été comme hiver (15 millions d’euros) ;
  • pérenniser la saison hivernale en sécurisant l’enneigement (30 millions d’euros) ;
  • l’apprentissage du ski et la découverte de la montagne pour tous les élèves d’Auvergne-Rhône-Alpes (6 millions d’euros).

« Ce Plan Montagne II est une occasion unique, celle d ’inventer la montagne de demain. » Cultivons notre doute politique quant à une montagne de demain écologique et populaire. Selon Wauquiez même, nos massifs « seront de véritables vitrines du dynamisme économique de notre région et de l’innovation de nos entrepreneurs ». Au risque de paraître de ceux qui enfoncent des portes ouvertes, je rappelle que dynamisme économique et entrepreneuriat sont des concepts qui promeuvent une réalité incompatible avec quoi que ce soit de « durable » et de « découverte pour tous ».

Et chez nous alors, de quoi s’agit il ? Dans cette bonne vielle région stéphanoise, nous ne sommes pas à l’abri de ce plan, et de cette politique d’accaparement de nos « moyennes montagnes » par l’investissement. À Chalmazel, dans le nord de la Loire, sous le point culminant du département, dans les montagnes dites des Hauts de Chaumes, un petit plan dans le grand plan prévoit 10 millions d’euros pour développer notre petite (peut-être plus si petite que ça !) station de ski.
1/4 du budget (Département, Région, UE et Loire Forez Agglomération) va être consacré aux sports d’hiver, 1/4 au projet « 4 saisons » pour le développement d’activités praticables sans neige et 1/2 à des services et équipements servant tout au long de l’année. Les principaux travaux prévus :

  • piste de luge sur rail « toutes saisons »
  • parcours de descente multi-glisses permettant de rendre utile le télésiège en dehors de la période hivernale
  • création d’une retenue d’eau pour alimenter les canons à neige (qui seront remplacés par des nouveaux)
  • création de nouveaux locaux d’accueil, de restauration, de sanitaires, de stationnement, etc.
  • création d’hébergements touristiques (360 lits d’après le PLU intercommunal de Loire Forez Agglomération en cours d’élaboration).
  • création d’un pôle commercial en lien avec la station de ski.
    Les deux derniers vont être confiés à un ou plusieurs opérateurs privés.

Quel est le prix écologique de ces investissements et à qui serviront-ils ?

Il faudrait faire une histoire du développement des stations de ski pour comprendre à quel point ce sport est avant tout une aubaine pour capitaliser la montagne. À quel point l’or blanc n’est pas qu’une métaphore. La montagne fut bétonné e sans vergogne et des verrues architecturales ont poussées un peu partout avec la bénédiction de l’État. La création de ces stations et de leurs infrastructures fut un massacre environnemental ainsi qu’un bouleversement sociologique pour les habitant.e.s de ces lieux [1].

Revenons-en à nos ligériennes préoccupations. À Chalmazel, le réchauffement climatique ne permet plus d’ouvrir les pistes sur une période assez longue pour assurer la croissance nécessaire au maintien des infrastructures. Plutôt que de se dire que ce serait une occasion de laisser la montagne déshabillée de ces équipements de ferraille et de repenser un rapport plus sain, équitable et écologique à celle-ci, la Région et ses acolytes vont investir toujours plus, pour toujours plus d’activités payantes, accessibles toujours un peu plus aux riches, avec toujours plus de conséquences écologiques désastreuses. Chalmazel et « sa » piste de ski est une image trop importante pour le département. Une vitrine sportive qu’il serait trop dommageable de laisser à l’abandon. Quitte à oublier tout bon sens. Quitte à créer une grande retenue d’eau, à bétonner les derniers mètres encore aménageables, quitte à encore augmenter le prix du forfait...Le plus aberrant, c’est que tout ça va se faire au beau milieu d’une zone Natura 2000. Oui, oui, vous avez bien entendu… Zone natura 2000 : interdit de tondre la pelouse, mais on peut y développer une station de ski. Quand on vous disait que le capitalisme vert était un oxymore… il se couple fort bien à l’Or blanc sur les couleurs de son drapeau.

L’idée du « projet » 4 saisons, ce n’est pas de remettre en cause le principe de la neige malgré tout, au contraire, mais d’étendre l’activité au « non-hiver » due au réchauffement climatique. Il ne faut pas avoir un fl air hors-norme pour débusquer le mensonge ; la piste de luge avec un rail, le télésiège qui marche toute l’année, les hôtels, les centres commerciaux, les parkings plus grands, (donc plus de voiture) et les canons à neige ne vont pas tendre vers une station zéro émission… C’est hallucinant, mais il faut voir les choses en face ; le désastre écologique n’est perçu par nos investisseurs que comme une aubaine pour le développement. Toujours plus loin, plus haut, plus fort, plus débile.

Arrêtons-nous sur les canons à neige, qui sont très clairement le fer de lance de ces « plans ». L’enneigement artificiel est devenu au fil des dix dernières années la réponse miracle. Le nombre de skieurs n’augmente plus ; il faut donc accroître coûte que coûte l’offre de pistes et le nombre de jours skiables. Les inconvénients environnementaux ne font évidemment pas le poids face aux arguments économiques de “l’assurance touristes”. Pourtant, tout cela est vendu au nom d’une écologie et d’un développement durable (hein Lolo ?). C’est sans exagération le principe de la novlangue d’Orwell qui est à l’œuvre ; la guerre c’est la paix. L’écologie, c’est les canons à neige. Bientôt Courchevel, c’est le peuple tant qu’on y est. Mais en fait on y est.

Entrons dans le détail

En ce qui concerne la faune et notamment la zone humide qui va être impactée à Chalmazel : les nuisances sonores, les conséquences des prélèvements dans les cours d’eau en période d’étiage sur les poissons et les amphibiens, l’impact sur les batraciens de la destruction de tourbières. Les retenues sont construites sur les rares endroits plats, entraînant la destruction de milieux humides à forte valeur patrimoniale. Les prélèvements d’eau et la fonte retardée (la neige de culture fond plus lentement que la « vraie ») modifient les régimes hydriques, impliquant également des risques de glissements de terrain et d’érosion.

Mais c’est la quantité d’eau requise qui reste le principal tort écologique. En moyenne, l’enneigement artificiel nécessite 4 000 m³ d’eau à l’hectare, ratio très supérieur à celui de l’irrigation du maïs . En France, 15 millions de m3 d’eau ont été consommés l’hiver 2017-2018 pour fabriquer de la neige artificielle, soit plus que la consommation annuelle d’une ville de 170 000 habitants (presque Sainté, tsais !). Près d’un quart provenait directement du réseau d’eau potable. 1 m3 d’eau fournit de 2 à 2,5 m3 de neige artificielle. Les pertes sont évaluées entre 10 et 30 %, par évaporation et suintement, en fonction des conditions météorologiques.

En termes d’énergie, 25 000 kWh sont utilisés chaque année par hectare de piste. Afin que la neige puisse être produite à n’importe qu’elle température, sont rajoutés dans cette mixture des additifs probablement très « durables ».

Il n’empêche que, même avec l’aide de la techno-industrie, la neige – même artificielle – fond au dessus de zéro degré. Chalmazel est une station de ski qui se déploie entre 1000 et 1500 mètres d’altitude soit dans les zones les plus touchées par le réchauffement climatique en France. Ce qui veut dire qu’un risque grand est pris ; celui d’investir tout ça pour rien… Par exemple, la station du Mas de la Barque, en Lozère, qui à toutes les mêmes caractéristiques, s’était équipée pour plus d’un million d’euros d’une retenue artificielle et de canons qui n’ont jamais pu concurrencer les hivers trop chauds. La station va bientôt être totalement démontée… Malgré les luges d’été et autres idées louches d’aménageurs, s’il fait trop chaud, une station de ski ferme et laisse des villages, qui s’étaient enchaînés au tourisme, seuls avec leur désarroi et leurs équipements rouillés…

« La neige est notre matière première. On n’a rien encore inventé de mieux, surtout parce que ça nous permet de travailler sur des masses très importantes de clientèle. On a essayé d’autres produits complémentaires, la rando, mais c’est difficile à commercialiser, le vélo… c’est compliqué. Il n’y a rien de plus facile et de plus ludique qui rapporte autant d’argent que la neige. Et ça, parce qu’on a un protocole industriel : on transporte des milliers de skieurs par heure. »
Franck Lecoutre, directeur de l’office de tourisme de Chamrousse

Pour finir, il est de toute importance de rappeler un fait essentiel. Ces millions d’euros ne sont pas investis pour tout-un-chacun ; le ski est, de plus en plus, un sport dédié aux riches. Selon un rapport de l’observatoire des inégalités, les deux tiers des Français.es ne partent jamais en vacances l’hiver (de début décembre à fi n mars) . Moins d’un.e Français.e sur cinq (17 %) part au moins une fois tous les deux ans, un sur dix tous les ans. Partir skier est encore plus rare : seuls 8 % des Français.es le font au moins une fois tous les deux ans. Seuls certains groupes – les cadres (40 %), les hauts revenus (31 %) ou les diplômés du supérieur (33 %) – plient bagage au moins un an sur deux à cette période de l’année. Et cela ne va pas s’arranger. Le principe, c’est que ce qui est investi attend un retour sur investissement. Ainsi, les forfaits ne cessent de monter, année après année, et ce phénomène ne semble pas prêt de s’arrêter. Certaines grandes stations de ski des Alpes assument et ne misent plus que sur l’ultra-richesse internationale. Donc, des millions pour 8% de privilégié.e.s.

Que ce soit à Chalmazel ou a Chamonix, le ski nous emmène, tout schuss, dans les aberrations du développement et de l’aménagement, soit de la marchandisation de nos montagnes.

P.-S.

Article paru dans le dossier sport du Couac n°13, à l’hiver 2021.

Notes

[1Lire le très bon article de l’Office de l’antitourisme, « De l’or blanc à l’or vert », 18/06/2016.


Proposé par Couac
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