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ANALYSES ET RÉFLEXIONS ÉDUCATION - PARTAGE DES SAVOIRS / MOUVEMENT OUVRIER
SAINT-ÉTIENNE  
Publié le 3 juillet 2022 | Maj le 10 juillet 2022

La Fédération sportive et gymnique du travail : pour une histoire populaire du sport ?


Le Couac a envoyé ses sportifs les plus amateurs sur les traces passées et actuelles de la FSGT, pour éclaircir un peu les pratiques amatrices et populaires du sport.

Un lundi soir de fin novembre, stade de Cellieu, une demie heure de route de Sainté sous la bruine et dans la nuit déjà tombée. Quelques degrés au dessus de zéro, un demi vestiaire et son sol en carrelage froid : on se caille et il va bien falloir enfiler un short et un maillot. Mais qu’est-ce qu’on fait là ? Sûr que sans une bonne raison on serait partout ailleurs, quelque part au chaud en tout cas. La bonne raison, comme tous les lundis, c’est un match de foot à 7 dans le cadre du championnat amateur organisé par la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail).

Magie de ces compétitions amatrices qui vous font sortir de votre bout de stade de centre ville, pour aller cracher ses poumons contre d’autres énergumènes qu’on aurait sûrement jamais croisés de nos vies sans ce prétexte. Pas simple de l’avoir en tête au moment d’entrer sur le terrain, mais à la FSGT, les championnats amateurs, c’est tout une histoire, des combats, des pages et des pages de compte-rendu pédagogiques, pas mal de politique et des milliers de gens qui se sont essayés à tout un tas de sports. Retour partiel sur ce qu’est cette fédération et ce qu’elle nous renvoie de nos pratiques sportives.

La FSGT : pratiques actuelles du sport amateur en compétition

Pour nous qui écrivons cet article, la FSGT c’est d’abord le foot à 7, activité « phare » de la FSGT, créé par elle et qui représente dans la Loire la moitié des licencié.es. Comme tous les autres sports proposés par cette fédération, l’activité est gérée collectivement au sein d’une commission départementale d’activité, qui entre autres élabore et peut réajuster les règles de la pratique en question. À la FSGT, ces commissions ont donc toute la liberté pour revisiter les règles institutionnalisées d’un sport. Pour le foot à 7 par exemple, nous pratiquons la règle de l’auto arbitrage et les tacles y sont interdits. Ce genre de règles spécifiques a un véritable impact sur le déroulement du jeu, où les fautes sont « demandées » par l’équipe qui les subit, discutées entre joueurs mais en principe automatiquement acceptées par l’équipe adverse.

Et c’est l’un des traits caractéristiques de la FSGT. Selon son actuel coordinateur, Lionel Faure, la modification et l’évolution de nombreux règlements sportifs sont constitutives de l’histoire de la FSGT et de ses pratiques. C’est dans cette fédération par exemple que les catégories de poids au judo ont été inventées, afin de permettre à chacun-e de pouvoir jouer et faire des compétitions dans une certaine zone de confort. Autre exemple de la liberté permise à la FSGT : l’organisation d’un championnat national de natation, non sélectif comme le sont habituellement les championnats nationaux (sur la base de performances chronométriques en natation). Cela permet à n’importe quel.le licencié.e, quel que soit son niveau, d’aller affronter d’autres nageur.euses à l’autre bout du pays, de voyager avec ses partenaires, de découvrir d’autres villes et de sortir de son bassin habituel. En quelques mots, et contre l’esprit « olympique » visant la performance individuelle et la compétition sans retenue entre adversaires, la FSGT a toujours défendu et promu une approche du sport par le loisir et les cultures qui peuvent y émerger.

La FSGT : du sport rouge au sport populaire

Et en effet, il suffit de discuter avec un adhérent historique de la fédération, ou de plonger dans des ouvrages qui en retracent l’histoire, pour saisir la portée et l’ambition politique qu’a pu défendre la FSGT. Celle-ci naît officiellement le 24 décembre 1934, dans une petite salle de réunion syndicale au cœur du Paris populaire, à Belleville. Dans « un climat d’enthousiasme et de gravité les délégués valident une charte d’unité dont les premiers mots en disent long sur le contexte : Devant le menace fasciste actuelle, nous nous réunissons... » [1]. Alors que le professionnalisme se généralise (depuis 1932 dans le football) et que l’idéologie olympique de Pierre de Coubertin célèbre le nazisme (JO de Berlin en 1936), la FSGT se mobilise pour les athlètes juifs allemands et participe à la création des « contre jeux-olympiques » (à l’image des contre-sommets d’aujourd’hui) : les Olympiades Populaires de Barcelone se déroulent en Espagne républicaine et accueille pour la première fois dans l’histoire du sport moderne un certain nombre d’États non reconnus comme l’Algérie, le Maroc, la Palestine, mais aussi des équipes autonomes de Catalogne, du Pays Basque et de Galice ainsi que des minorités comme des Juifs émigrés. Pour la France ce sont principalement les clubs des banlieues rouges de Paris (la Fraternelle de Blanc-Mesnil, la Vigilante de Noisy-le-Sec, etc.) qui rejoindront l’Espagne, et dans laquelle certain.es de ces athlètes resteront pour prendre les armes aux côtés des anti-franquistes.

À sa manière, cette nouvelle fédération constituera un test grandeur nature de l’aventure du Front populaire, comme l’un de ses héritages invisibles. Ses clubs rentrent dans les usines occupées de juin 1936, ses militant.es ouvrent les disciplines aux femmes (baskets, volley, cyclisme etc.), aux enfants (ski, natation, gymnastique, etc.) et son action démocratise l’accès au sport. Son élan originel se prolongera dans la résistance (avec le réseau « Sport Libre ») et par le biais d’innovations sociales, notamment éducative, se rapprochant des « pédagogies nouvelles » et des mouvements de jeunesses. Bien sûr, l’utilisation du sport et des mouvements de masses qu’il peut susciter ne va pas sans nous interroger, entre autres lorsque l’on voit apparaître à fin de propagande, derrière les corps des ouvrièr.es libérées par la pratique sportive, la figure de l’« homme nouveau », fort et heureux de sa condition, compatible avec d’autres impératifs, ceux de la production et de la bureaucratie. Pour l’heure, nous retiendrons une histoire pouvant relier des militant. es communistes et anti-fascistes d’avant guerre à nous autres, pratiquants un football fait par et pour toutes, un sport populaire qui sait subvertir les cultures sportives en les rendant émancipatrices.

La FSGT : une pédagogie sociale par le sport

Les ambitions pédagogiques (et donc aussi politiques) de la FSGT se comprennent un peu mieux en prenant l’exemple des stages dits « Maurice Baquet », du nom d’un directeur de l’Institut national des sports, qui adhère à la FSGT en 1945. Ce dernier s’inscrit dans un travail de réflexion propre aux mouvements de gauche de l’époque : « le problème à résoudre [étant] de briser les barrières qui interdisent à une grande partie des populations d’accéder à cette activité libre. [Et] ce projet social, culturel et politique, implique des luttes solidaires » [2]. Ces « stages d’un type nouveau » seront véritablement mis en place à partir de 1965. En pratique, il s’agit d’abord d’intégrer le sport dans les activités pratiquées par les enfants en colonies de vacances, pour finalement aller jusqu’à une organisation de ces colonies en véritable petite république (par exemple la république dite du « Gai Soleil », étrange nom de colonie accueillant jusqu’à 1500 enfants chaque été). Une autre époque, où la République pouvait, peut-être, ne pas encore rimer avec l’« ordre républicain ». Durant ces séjours, les enfants, outre qu’ils sont initiés à des sports d’une manière peu commune, sont eux-mêmes acteurs de l’organisation de la colonie, dans toutes ses composantes : sportives mais pas que.

La démarche proposée dans ces stages se voulait nouvelle à plus d’un titre, à commencer par la place première faite à l’expérience et à l’observation des enfants, plutôt qu’à la théorie et au technicisme. Ainsi les enfants, par des pratiques d’abord intuitives et ludiques, sont amenés à participer directement à l’élaboration des techniques purement sportives. Loin de considérer ces endroits comme des simples colonies de vacances, les penseurs de ces stages ne faisaient qu’une différence de niveau et pas de nature entre le sport débutant et le sport de haut niveau. Cela ne signifie pas que chaque enfant doit devenir un champion. Au contraire, c’est plutôt dire que l’exploration du sport peut avoir plusieurs niveaux, d’intensité, d’engagement (la pratique d’un.e débutant.e est juste plus simple que celle d’un athlète de haut niveau). L’objectif est de s’éloigner d’une vision consumériste du sport de haut niveau pour proposer à la place des pratiques qui soient « créatrices de soi ». Ces idées étaient renforcées par une pratique dite « omnisports », permettant notamment d’éviter l’écueil de la spécialisation. Au final, une citation tirée d’un bouquin du sociologue Joffre Dumazedier permet de résumer un peu l’esprit politique qui irriguait ces stages : « A la menace du triomphe de l’attraction sportive, de l’exhibition rémunératrice, du sport spectacle, du sport commerce » est opposé un sport « divertissement sain, centre d’intérêt culturel [et] moyen d’éducation complète » [3]. Les lecteur.ices qui voudraient en savoir davantage sur cette pensée et attitude pédagogique expérimentale trouveront de quoi faire dans les ouvrages cités en encadré.

Retour à Sainté : la FSGT aujourd’hui

À Saint-Étienne aujourd’hui, lorsqu’on fréquente la FSGT (fédération dite « affinitaire » en opposition aux fédérations nationales qualifiés de « délégataires » en rapport au pouvoir officiel qui leur est attribué), les drapeaux rouges et les slogans politiques ne font plus vraiment parties du décor.

Quelques traces du vingtième siècle et de son langage résistent pourtant ici et là : l’« Union Cycliste Ouvrière de Firminy » est l’un des clubs les plus actifs du département ; le petit texte au dos de notre licence « omnisports » nous invite toujours à « utiliser judicieusement les loisirs, à préserver et améliorer les capacités physiques des adhérents, et d’inviter ceux-ci à cultiver les principes de camaraderies […] et de solidarités ». L’ambiance est encore au loisir et l’aspect compétitif est largement encadré par des règlements adaptant la pratique à toutes et tous (le championnat de foot accueille plusieurs équipes issues de la culture « sport adapté », où jouent des personnes vivant avec divers types de handicap) mais également par une culture sportive où l’autre apparaît moins comme un adversaire que comme un partenaire de jeu. Les échanges sont le plus souvent cordiaux voire joyeux, il y a toujours quelqu’un.e pour désamorcer les tensions qu’un duel ou un cafouillage peuvent provoquer. Et si le foot reste presque exclusivement masculin, une certaine hétérogénéité (de jeu, d’intention et de déterminants sociaux) semble tout de même exister et cohabiter.

Enfin, la petite machinerie assurant le fonctionnement administratif et logistique de la FSGT Loire (autour de 3000 licencié.es à ce jour) cultive un souci de décentralisation du pouvoir en attribuant beaucoup de confiance et d’autonomie aux licencié.es ainsi qu’aux clubs adhérents. A la suite d’une année où aucune pratique n’a vraiment pu avoir lieu à cause de l’épidémie de Covid, la fédération de la Loire a rendu une partie non négligeable de ses recettes afin de soutenir le fonctionnement quotidien des clubs. Cela a notamment permis aux licencié.es les plus précaires de se réinscrire à moindre frais pour la saison suivante, et d’éviter d’accumuler inutilement de l’argent dans ses caisses – comme le font consciencieusement l’ensemble des fédérations « délégataires », toutes devenues à ce jour des entreprises du sport business (nous pensons en premier lieu à la Fédération Française de Football).

Malgré cet état des lieux plutôt réjouissant à propos d’un réseau de pratiques sportives, l’époque où des militant.es de la FSGT réquisitionnaient des équipements sportifs publics en organisant des occupations spontanées est bel et bien révolue. Et le rapport que cette fédération entretient à ce jour avec les questions sociales et politiques de la ville et des territoires auxquels elle appartient semble progressivement disparaître. La question reste pour nous entière : comment faire de l’expérience sportive (individuelle ou collective) un espace d’émancipation, ouvert à toutes et tous et depuis lequel contester l’ordre en place (la répartition des rôles et places de chacun.e) ? Comment faire du sport une arme pour les luttes politiques égalitaires ? En quoi les pratiques sportives peuvent aussi être le lieu de rencontres et de rapports à soi-même qui échappent aux logiques de dominations ainsi qu’au monde marchand. D’autres pistes, d’autres pratiques du sport semblent prendre le relai de cette histoire !


L’essentiel du contenu de cet article ainsi que les photos ont été tirés de deux ouvrages, prêtés par la FSGT de la Loire :

  • Les stages Maurice Baquet, Editions l’Harmattan, 2004. Un vrai bon bouquin de pédagogie sociale et, donc, très politique, où les sports apparaissent comme un outil pour l’expérimentation politique.
  • Un parfum de bonheur, Gallimard 2014. Récit illustré par les photographies d’un jeune ouvrier nommé France Demay, et retraçant l’histoire de son amie Ginette Tiercelin, sportive énergique et haute en couleur, qui fut une actrice centrale de l’histoire de la FSGT.

P.-S.

Article paru dans le Couac, n°13.

Notes

[1Daenincks D., Demay F., Un parfum de bonheur, Gallimard 2014.

[2Portes M., Moustard R., Marsenach J., Goirand P., Les stages Maurice Baquet, Editions l’Harmattan, 2004.

[3Dumazedier, Regards neufs sur le sport, 1950. Ouvrage collectif.


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