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ANALYSES ET RÉFLEXIONS CAPITALISME - GLOBALISATION
Publié le 14 janvier 2008 | Maj le 23 avril 2020 | 2 compléments

La politique de Sarkozy et le rapport Camdessus


A lire le rapport Camdessus, et à suivre la politique de Sarkozy, on pourrait presque croire que la seconde est inspirée du premier et qu’il en a fait son livre de chevet, si l’analogie ne s’en arrêtait pas qu’aux grandes lignes libérales.

Alors certes le rapport Camdessus date d’octobre 2004, et certes c’est un rapport libéral mais qui comporte d’importante lignes sociales, et on pourrait donc se demander pourquoi revenir dessus aujourd’hui. Mais ce genre de rapport n’est normalement pas fait pour avoir un délai de péremption aussi court, et le risque de décrochage économique dont il nous prévenait, qu’on adhère ou pas à l’idéologie capitaliste, n’est pour l’instant pas encore suffisamment éloigné pour qu’on l’oublie aussi vite.

Il semble que du rapport Camdessus, Sarkozy n’ait retenu que la nécessité d’augmenter le temps de travail global du pays, et la nécessité de diminuer la dette de l’Etat.
Apparemment il a lu en diagonale les recommandations à propos de l’économie de la connaissance, concernant le soutien d’une intensité de R&D conséquente, et celles concernant l’indépendance des chercheurs pour assurer un regard critique sur l’innovation et ses applicaitons, et, on peut se le demander, pas fait attention aux recommandations concernant la bonne santé de la cohésion sociale, nécessaire à entretenir un moral prompt à soutenir une croissance suffisante pour éviter le décrochage.

D’après le rapport de l’Observatoire des Sciences et Techniques de 2006, organisme français de référence pour la mesure de l’état de la R&D en France, en Europe et dans le monde, l’intensité de R&D (c’est-à-dire le ratio entre les dépenses de R&D tout secteurs confondus, public et privé, et le PIB) en 2004, était de 2,13%, ce qui plaçait la France en 12e position mondiale sur ce point, alors que dans le même temps elle est en 4e position pour les brevets, 5e en terme de dépense brute, 6e en terme de publications scientifiques. Le coût d’une publication française est le même que celle d’une publication étasunienne, ce qui veut dire que la recherche française est aussi efficace que celle des autres pays. Elle n’est simplement pas assez soutenue en proportion de ce que le pays produit pour permettre d’entrer de plain pied dans une économie de la connaissance comme le préconisait le rapport Camdessus, en écho à l’objectif des 3% du sommet de Lisbonne.

D’autre part la responsabilité du manque de soutien de l’intensité de R&D en France est partagée entre le public et le privé, et ce depuis presque deux décennies maintenant. La France dort sur ses acquis depuis 1990. Depuis cette date les dépenses de R&D n’ont fait que diminuer, et pas seulement en proportion du PIB. L’Etat et les entreprises françaises n’ont pas cessé de diminuer leurs dépenses dans ce domaine, hypothéquant gravement les capacités d’innovation actuelles et futures. En France, chaque année la liste des « technologies clés pour la compétitivité de demain » diminue, et ceci à une vitesse effrayante : 136 en 1995, 119 en 2000, et 83 en 2005 ! Et ceci sans parler des problèmes d’intelligence économique qui viennent s’ajouter à la sape des capacités françaises à continuer à jouer demain dans la cour des grandes puissances. Une entreprise dont le fond de commerce est constitué de produits innovants et qui ne se soucie pas du renseignement, est vouée à disparaître, dans le contexte d’une économie mondialisée. Et ceci est vrai quelle que soit la taille de l’entreprise, dont vingt milles sont concernées en France. Là où les japonais et les anglo-saxons ont imposé la règle du jeu depuis longtemps, les entreprises françaises ont eu du mal à la comprendre et sont à la traîne, et avant qu’elles aient comblé leur retard, les dégâts sur l’économie française auront été considérables.

Dans ce contexte, on comprend qu’il est vital de soutenir efficacement la R&D en France, en s’efforçant d’augmenter la part du PIB qui lui est dédiée. Ceci pourrait passer par deux types de mesures conjoints, sensibiliser les industries à ces problèmes d’une part, et augmenter la dépense publique dans ce domaine d’autre part. Surtout que le secteur privé avale déjà une grosse part de la dépense publique de R&D, puisque ses dépenses sont à 13% financées par l’Etat.
Dans ce même contexte on comprend par contre mal à quoi peut bien servir le désengagement de l’Etat dans une Université qui par ailleurs produit une recherche efficace, et qui au contraire aurait besoin de soutien financier pour continuer à faire progresser la capacité d’innovation française.
On comprend encore moins par quel mécanisme miraculeux, l’industrie française se mettrait soudain à investir massivement dans l’Université alors qu’elle ne le fait plus dans ses propres structures depuis presque vingt ans et qu’elle se contente d’avaler les subventions ou autres crédits d’impôts, sans jamais se mettre à mettre la main à la poche. A moins que la loi Pécresse ne soit une baguette magique qui permette en même temps de diminuer les dépenses de l’Etat et de stimuler l’industrie française en pleine léthargie innovatrice. Dans ce cas, nous devrions tous nous prosterner devant ce grand mage noir qu’est Sarkozy, puisque en plus de savoir manipuler les émotions populaires pour mieux les asservir à l’adoration de son image et à la délégation de leur pouvoir, il est capable d’abolir un système collégial, dépourvue duquel l’Université devrait changer de nom, internationalement reconnu comme étant la norme en terme de gestion de l’Université et de la recherche publique, pour le confier à des décideurs non compétents, mais malgré tout au final plus compétents que les spécialistes eux-mêmes. De la sorcellerie d’une puissance qui doit faire trembler de peur et d’envie tous les shamans des cinq continents.

A moins encore que cette mesure ne soit justement faite pour attirer les investisseurs étrangers. Dans ce cas on comprendrait mieux que si la banqueroute annoncée par Camdessus était en train d’arriver, Sarkozy ne serait finalement qu’en train de liquider la France pour en dédommager les créanciers ou pour en faire profiter quelques bouches goulues.

Et encore même dans ce cas, on peut légitimement se demander si ces investissements pourraient être suffisamment massifs et continus dans le temps pour non seulement compenser le désengagement de l’Etat, mais en plus permettre un accroissement continu de la part du PIB dans la R&D dans les années qui viennent, alors même que rien ne les empêchaient jusqu’à lors de venir s’établir sur le sol français.

Quoi qu’il en soit, de toute évidence Sarkozy n’a lu qu’à moitié ce rapport puisque il s’est empressé de saborder l’Université sous prétexte de faire faire des économies à l’Etat et ainsi diminuer l’endettement, mais il a oublié qu’avec ce sabordage, il hypothéquait un peu plus les chances de la France de maintenir son rang dans la compétition entre puissances basées sur l’économie de la connaissance. Sauf bien sûr si les gens à qui il revend la France sont des gens sérieux.

Ce qui tend à se dessiner, aux dernières nouvelles des campus, c’est que le gouvernement n’attend pas que la simple concurrence entame le processus de sélection du darwinisme social des universités les plus faibles. Visiblement la carte des universités destinées à disparaître, ou du moins à être réduites aux filières de premier cycle, sans écoles doctorales ni recherche, à déjà été redessinée quelque part dans un bureau, et le désengagement se fait déjà rudement sentir dans les budgets de beaucoup de composantes, de formations professionnalisantes ou non d’ailleurs. Il faut en conclure que les universités choisies pour survivre et commencer à concentrer les moyens, elles, doivent recevoir les crédits qui ont été retirées aux autres.

Par ailleurs, nous avions également examiné en début d’article, l’accent que mettait le rapport Camdessus sur la qualité de la cohésion sociale comme condition nécessaire au bon moral des français, lui-même condition nécessaire à l’économie d’énergie d’anxiété et à la confiance en l’avenir, qui servent de fondation à une croissance durable, ou plus prosaïquement à se sentir bien dans sa vie de français de tous les jours. Car finalement, l’Indice de Développement Humain, c’est pas que pour les chiens.

Et la cohésion sociale de la France ça n’est pas seulement l’injustice d’une précarité subie par une partie de la population, mais c’est aussi la dignité et le respect de ses habitants, qui ont tous participé, et certains plus durement que d’autres, à la poursuite de son projet de société entamé il y a plus de deux cents ans. Comment ne pas se demander si Sarkozy à bien lu toutes les lignes du rapport, et pas seulement une sur deux, quand on le reconnaît en chef des barbouzes de la plus obscure espèce, arrosant d’arrogance jacobine les soumis de l’impérialisme français, décidemment moins mort que jamais.
Quand la sagesse préconiserait un repentir et une réconciliation nationale avec les infériorisés de la République, la supériorité des barbouzes impose plutôt d’en remettre une couche de domination et d’infériorisation. Dans le même temps d’ailleurs, l’abrutissement barbouze étale sa médiocrité dans le monde entier sous la forme de contrats de vente d’armement, industrie mortifère du 3e pays vendeur dans le monde, qui par ailleurs se prétend à grand renfort de cocoricos ergotiques et de pétage de bretelles, être le pays des droits de l’Homme. Quand la République, ou la France, pour faire d’eux ses « enfants », se sent obligée de massacrer ses coloniaux dans ses guerres bourgeoises, qu’ils soient Algériens ou Savoyards, Bretons ou Sénégalais, elle ne s’abaisse pas à reconnaître que son idéologie d’intégration désintégratrice est peut-être un peu disproportionnée. Au contraire, elle éructe, à travers Sarkozy, que l’anxiolyse de son complexe de supériorité ne saurait se priver de ses boucs émissaires tranquillisants. Et pourtant, Dieu sait que la résilience a du bon.
Quand le suivi des recommandations du rapport Camdessus en matière de cohésion sociale inciterait à mettre fin à l’infériorisation légale d’une partie de ses nationaux, la lecture en diagonale du dit rapport par Sarkozy oublie d’en appliquer l’essentiel.

Il aurait d’ailleurs manqué à ce rapport quelques points, en plus d’un développement sur le secteur captif de l’agriculture organique [1], lui aussi source de prospérité au même titre et peut-être même plus encore, que le secteur touristique traité, comme par exemple sur le poids scandaleux que fait porter sur les ménages et donc sur l’économie, les rentes locatives des investisseurs peu inquiets de la charge financière qu’ils font subir à la Nation à leur seul profit.

Ou encore la suggestion de directement confier la direction du pays aux « Sages », plutôt que de sempiternellement les prendre pour des larbins rédacteurs de rapports. Autant directement user des compétences là où elles se trouvent, plutôt que de s’encombrer de ces coûteux et incompétents intermédiaires que sont les parasites politiques. Mais il est probable qu’à la lecture d’un tel rapport Sarkozy en aurait développé une alexie définitive, étant donné qu’il en était lui-même le commanditaire.

En conclusion, et au regard des efforts que déploie notre cher Napoléon IV à mépriser ses habitants, ses enseignants-chercheurs, son patrimoine, ses vétérans, son histoire, on pourrait se demander si tout simplement il n’aurait pas de plus en plus de mal à cacher sa haine de la France. Ce qui d’ailleurs pourrait expliquer son obsession à la traquer chez les autres, dans ses multiples interventions gonflées d’agressivité, pour détourner la sienne de l’attention.

Notes

[1J’emploie ici le terme utilisé par les étasuniens plutôt que le mot « biologique », qui ne veut vraiment rien dire.


Proposé par Segognat
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  • http://tunisie-harakati.mylivepage.com

    J’ai l’impression de revoir les même éléments dans les rapports de gauche comme de droite, les même idées reviennent, il n’y a rien de nouveau sauf la gnac légendaire de monsieur Nicolas Sarkozy.
    Si notre président de la république pouvait avoir autant de gnac dans le dossier de madame Sameh Harakati, je serai enfin satisfait de constater qu’il agit enfin avec coeur, Sarkozy réagit vite pour aider les membres de l’Arche de Zoé, il serait bien qu’il fasse de même dans l’affaire de Sameh.

    http://tunisie-harakati.mylivepage.com

  • http://tunisie-harakati.mylivepage.com

    Toujours autant de rapport mais rien n’avance. J’ai l’impression que ces nombreuses demandes de rapport sont là pour faire gagner du temps. Monsieur Nicolas Sarkozy a-t’il besoin de demander un nouveau rapport pour venir en aide diplomatiquement à madame Sameh Harakati ?
    Tout n’est que déception, où sont les valeurs morales, les valeurs de la République française ?

    http://tunisie-harakati.mylivepage.com

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