Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
ACTUALITÉS RACISME / VIOLENCES POLICIÈRES
SAINT-ÉTIENNE  
Publié le 27 août 2020 | Maj le 22 octobre 2020

# m@nif42 : mobiliser contre les violences policières et le racisme


Alors qu’elle avait été interdite, la manifestation « justice pour Adama ! » du 2 juin a rassemblé une foule monstre devant le Tribunal de Paris. A Sainté, des rassemblements ont suivi les 3, 4 et 5 juin [1]. Le rassemblement du 5 juin a mobilisé environ 2000 personnes et permis des prises de paroles spontanées. Pour cela, quelques personnes ont créé le compte instagram manif_42, prémisses d’une organisation collective autour du racisme et des violences policières. Entretien de Couac avec S. et J.

Couac : Comment les premières manifestations se sont organisées à Sainté ?

S. : Le racisme il n’y en n’a pas qu’aux États-Unis, il y en a en France, il y en a partout. Ce qu’il s’est passé aux États-Unis, la mort de Georges Floyd puis l’expertise pour Adama ont fait sortir les gens. La vidéo a tournée et les gens se sont dit : « ce n’est pas parce que je suis noir que je peux mériter une arrestation comme ça ou de mourir ». Et quand on parle de violences policières, il y a aussi les blessés. Moi qui ai fait les manifestations gilets jaunes pendant un an et demi, j’ai vu des scènes qui m’ont vraiment marqué. Des tirs de LBD dans la joue, à Lyon il y a trois-quatre mois. A Saint-Étienne aussi, un jeune Syrien, Hadi, avait aussi été victime. On n’était pas à l’origine de la première manif [celle du 3 juin]. Moi j’ai vu un appel le matin même sur Snapchat. Je crois que ce sont des lycéens qui l’ont organisée. Je m’y suis rendu et ça nous a permis de nous rencontrer.

J. : Il n’y a pas eu d’affiche ou autre. Ça s’est vraiment fait de manière spontanée. Il n’y avait pas d’organisation proprement dite. C’est la première fois que je me mobilise réellement pour manifester. D’habitude quand je voyais les manifestations, je soutenais la cause mais un peu à l’écart, pas physiquement je dirai, pas en présence. Étant donné que c’est une cause qui me touche directement, les violences policières, le racisme surtout, je me suis dit que c’était le moment de se mobiliser, de se faire entendre par rapport à tout ça... Pour le vendredi c’était à l’appel de plusieurs organisations. Des groupes se sont mobilisés contre les violences policières. Il y avait notamment la famille de Mohamed Benmouna. Les personnes concernées ont pris la parole. C’est vraiment l’occasion pour les personnes qui se sentent victimes ou qui ont eu des proches qui sont touchés par ça de témoigner.

Comment expliquez-vous que la parole se libère maintenant ?

S. : il y en a marre de ces violences là. Surtout qu’ils ne sont jamais punis. Quand j’entends monsieur Castaner dire qu’il n’y a pas de violences policières ça me fait bien rire. Des violences policières il y en a partout et sous toutes les formes.

« Vous allez vous plaindre auprès de qui ? Pas auprès des personnes qui n’ont jamais vécu ça. »

J. : Il y a une saturation, une accumulation d’événements qui font qu’on en a assez. On parle des violences qu’on voit à la télévision mais il y en a beaucoup qui se passent sans que les personnes les déclarent. Par exemple, un ami m’a raconté qu’à Saint-Étienne, il y a peu de temps, il était en voiture, c’était le soir et il rentrait chez lui. Il est noir. Il a fait une petite infraction, il n’a pas mis de clignotant. Il s’est fait contrôler par la BAC. L’un d’eux lui a mis un coup et l’a mis par terre. Ils l’ont emmené au commissariat. Là-bas, un autre noir avait été arrêté avant et le policier lui dis : « il y a ton ami singe qui est là ». On connait tellement d’anecdotes de ce genre… Et ce n’est pas qu’avec la police le racisme. Il y a à l’université, à l’école d’architecture [2]... Je suis à l’université et l’un de mes amis a demandé un logement au CROUS qui lui a répondu : « on attend qu’il y ait le nombre suffisant de blancs et après on prendra d’autres personnes ». C’est là qu’on comprend qu’il y a un quota à respecter et une banalisation du racisme. Et de toute façon vous allez vous plaindre auprès de qui ? Pas auprès des personnes qui n’ont jamais vécu ça. Elles ne vont pas comprendre.

Comment avez-vous pris connaissance du racisme qui règne à l’école d’architecture ? On voit dans les commentaires que c’est quelque chose de récurrent. La parole se libère aujourd’hui ou les oreilles sont plus attentives ?

J. : C’est une personne qui nous a envoyé les photos et les vidéos. Ensuite on a vérifié l’information parce qu’on ne peut pas relayer sans vérifier. Et on s’est ensuite rendu compte qu’il y avait d’autres pages qui relayaient cette information. Dans tous les cas, à partir du moment où on voit une personne grimée en noir, il n’y a pas vraiment de vérification à faire. Un blackface reste un blackface. L’image date de l’an dernier et une vidéo, qui contient une blague raciste vis-à-vis des asiatiques, date de cette année. C’est le même groupe d’étudiants. Tant qu’ils resteront impunis, ils continueront.

Quel rôle vous donnez à votre collectif ?

J. : C’est plutôt de relayer les informations. On n’est pas une structure bien ossée. On guette les réseaux sociaux, on vérifie les informations et on relaie. Il y a beaucoup de personnes très actives, avec lesquelles on est en lien. Je les considère aussi comme faisant partie de ce collectif. Je pense que tout ça n’était pas du tout présent à Saint-Étienne. C’est vraiment une toute première, alors qu’il y a une grande diversité de population ici.

S. : Il y a 400 personnes environ sur le compte Instagram. On est 3-4 à s’occuper de ça. On pourrait ensuite, pourquoi pas, monter un comité, essayer de mener des actions ensemble.

Est-ce que vos initiatives ne marquent pas justement la constitution de collectifs ?

J. : Ce serait bien s’il y a suffisamment de personnes motivées, volontaires, prêtes à s’engager concrètement. Pour que demain, des personnes victimes sachent où se diriger. Parce que sinon, si tu subis un acte raciste tu vas voir la police. Mais, la majeure partie du temps, la police s’en fout. Tu vas te plaindre auprès de personnes qui disent : « il y a ton ami singe qui est là » ? Ça, c’est la première possibilité, qui est déjà morte. La deuxième possibilité c’est de prendre un avocat ou d’aller vers des organismes. Mais il faut en créer un avec des gens engagés, qui connaissent la loi. C’est long. Et la majeure partie des gens en manifs sont des jeunes.

Vous êtes optimistes sur le mouvement en cours ?

J. : Coluche en 1980 parlait des violences policières, des arabes tués par la police. On n’est pas les premiers, on n’est pas les derniers. Il faut que ça bouge en haut. Partout. En France, dans toute l’Europe. J’ai de la famille dans toute l’Europe et je peux trouver un membre qui peut témoigner de violences policières ou de racisme dans le pays dans lequel il est. C’est généralisé. A force de manifester, il y a un réseau qui se crée. Certains attendant que des personnes se mettent en avant pour suivre. D’autres ne sont pas encore au courant.

S. : En 2005, les banlieues sortaient. À Argenteuil, quand Sabri s’est fait tuer par la BAC, pendant le confinement ça a bougé. C’est triste à dire mais je crois qu’il faut qu’il y ait un vrai drame pour que les gens sortent. Après, les jeunes ont peur de sortir, d’être rejetés ou d’être eux-mêmes victimes. Un gilet jaune m’a dit qu’il ne se sentait pas concerné par cette cause. Je lui ai rétorqué « mais tu peux l’enlever ton gilet en fait ! Tu te plains de violences policières mais tu penses qu’Adama l’a mérité et que les États-Unis sont loin. Ce n’est pas crédible. ». Il faut être tous ensemble, sans étiquette. C’est triste de devoir encore se battre contre le racisme en 2020.

Justice pour Mohamed ! [3]
 
En 2009, Mohamed Benmouna meurt en garde à vue au commissariat du Chambon-Feugerolles. A la suite de ce drame, des révoltes dénoncent les violences policières dans le quartier de Firminy-Vert. D’après la police le jeune Appelou de 21 ans se serait suicidé dans sa cellule en… découpant des morceaux de matelas et en creusant des trous dans les murs pour s’y pendre. Ses proches et sa famille contestent cette version improbable en s’appuyant sur plusieurs éléments :
- L’absence de matelas lors des GAV
- La mauvaise qualité de la vidéo de surveillance qui ne permet d’en tirer aucune conclusion
- L’amour de la vie de Mohamed
 
La maman de Mohamed rappelle lors d’une manifestation de juin 2020 : « garder à vue, ça veut dire garder les yeux sur quelqu’un. Si mon fils s’est suicidé comme elle le dit, où était la police à ce moment-là ? »
 
Depuis 10 ans, la famille Benmouna se bat avec la justice.

Notes

[2Manif_42 a participé à la diffusion de témoignages et d’images concernant les propos racistes et l’usage de « black face » au sein de l’ENSASE. Voir : http://le-cran.fr/ensase-a-st-etienne-ku-kux-kan-blackface-islamophobie-asiaphobie-afrophobie-dans-cette-ecole-nationale-darchitecture/. Lire également « Communiqué d’étudiant.es de l’ENSASE », 15/06/2020.


Proposé par Couac
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